Une police démocratique est une contradiction
« Croire que la police réussit une intervention quand elle ne fait pas de morts est une évaluation extrêmement biaisée qui occulte un phénomène majeur : les blessés et les mutilés. »
« Didier Lallement envisage que dans un futur plus ou moins proche on pourrait tirer sur des manifestants ou les tuer — ce qui est déjà arrivé historiquement. Ça en dit long sur la vision qui existe au sein de l’institution policière. On retrouve cette image de la « citadelle assiégée ». (…) La recherche nous dit que les policiers se voient eux-mêmes dans une telle position. Mais s’ils sont assiégés, ils le sont par qui ? Par le reste de la population. C’est ce qu’exprime très clairement Didier Lallement lorsqu’il déclare : « Nous ne sommes pas dans le même camp » Ça n’est pas une expression malheureuse : c’est un moment de vérité très largement partagé. La police, les policiers, perçoivent le reste de la population avec méfiance, voire hostilité. Ils se placent d’emblée dans une situation conflictuelle qui détermine leur manière de se comporter avec la population. C’est crucial. D’un coup, on comprend mieux les scènes de violence, de discrimination raciste et sexiste. On sort de l’idée selon laquelle ce serait la faute de quelques individus seulement. C’est l’institution qui produit ce comportement. »
« Si la mémoire militante des trente dernières années est rythmée par des défaites, il y a néanmoins un succès notable : les luttes ont empêché la classe dominante d’aller aussi loin qu’elle l’aurait souhaité dans le néolibéralisme. J’interprète donc la décennie 2010 comme une tentative renforcée de la bourgeoisie de libéraliser la France pour qu’elle se mette au niveau des pays voisins. Mais, comme la population s’y oppose, il faut recourir aux armes : d’où une recrudescence des violences policières. »
« La police est une branche centrale de l’État parce que c’est elle qui permet de recourir à la force. C’est pour ça que l’État y tient tant : c’est le recours ultime. Et c’est pour ça, aussi, que la police est imperméable vis-à-vis de la société. Par ailleurs, les armes non létales ont des effets sur le comportement des policiers, mais aussi sur celui de celles et ceux qui y sont exposés. Pendant la loi Travail, les mobilisations écologistes, les gilets jaunes, on a vu que les manifestants se sont adaptés : casques, foulards, masques, banderoles renforcées. (…) Du point de vue de la police, il y a une insatisfaction profonde, parce que les manifestants ne sont pas aussi vulnérables que prévu. Il y a donc une recherche technologique constante pour trouver des équipements toujours plus puissants, qui se rapprochent toujours plus d’un seuil de mortalité, si tant est que ça veuille dire quelque chose. »
Lire l’intégralité de l’entretien avec Paul Rocher avec Ballast