Prises de parole de la Coordination nationale contre les violences policières
Le 15 juillet, la manifestation de la Coordination nationale contre les violences policières a été interdite. Familles de personnes assassinées par la police, blessé·es en manifestation, soutiens politiques se sont néanmoins rassemblé·es dans une salle du 20e arrondissement pour une réunion publique. Alors que le gouvernement et la préfecture font tout pour les invisibiliser, rapportons leurs propos !
« 18 jours après la mort de Nahel, les manifestations en hommage aux victimes de violences policières et les marches pour réclamer justice et vérité sont tout simplement interdites. Alors que des révoltes ont éclaté partout en France, le gouvernement et la préfecture agissent comme si la souffrance et la colère devaient (et pouvaient) se vivre en silence. C’est ainsi que le Comité Adama a dû remplacer sa marche annuelle à Beaumont-sur-Oise par une manifestation (elle aussi interdite) à République, qui s’est soldée par deux gardes à vue de membres du Comité et des violences policières, encore, sur Youssouf Traoré. C’est ainsi que la Coordination nationale contre les violences policières a dû remplacer sa manifestation du 15 juillet par une conférence de presse et une réunion publique dans un gymnase du 20e arrondissement.
« Darmanin refuse que certaines populations, les premières concernées, prennent la parole, aient de la visibilité » a ainsi constaté Omar Slaouti, en ouverture de cette réunion, face à une salle pleine. C’est pourquoi la parole a été donnée prioritairement aux premier·es concerné·es. Proches d’Alassane, 36 ans, tué en prison ; de Gaye, 26 ans, tué par la police ; d’Ibrahima, 22 ans, renversé de son scooter par un fourgon de police ; de Lamine, 24 ans, tué par la police non loin de la salle où se tenait la réunion ; d’Amine, 29 ans, tué par un policier ; de Souheil, 19 ans, tué lors d’un contrôle de police ; de Mahamadou, 21 ans, tué par un ancien militaire à Charleville-Mézières… Au micro, sa soeur Assetou Cissé déclare : « il y a deux catégories de victimes : celles pour lesquelles la France entière va s’indigner et avoir de l’empathie ; et celles comme mon frère, dont on va d’abord éplucher le casier judiciaire. »
Et elle questionne : « pourquoi incriminer nos morts ? Pourquoi dire qu’ils le méritaient ? »
A sa suite, Aina, membre du collectif Justice pour Ibo, résume les points communs des meurtres policiers et du traitement judiciaire qui s’ensuit : la criminalisation des victimes ; la dissimulation des preuves ; l’intimidation des témoins ; des victimes toujours racisées ; une grande inégalité dans l’accès aux médias. Ce sont là, dit-elles, les aspects « structurels » de la violence policière en France. Samia, la tante de Souheil, confirme cette analyse en rappelant qu’aucune enquête n’a été ouverte suite au meurtre de son neveu, et que les vidéosurveillances des trois caméras situées sur les lieux du drame ont déclarées « disparues » – comme elles ont disparu pour Ibrahima. Elle rappelle aussi que les riverains de ces lieux ont reçu la nuit des visites de la police, qui aurait brutalement frappé aux portes en criant « on veut les téléphones portables ».
Amal Bentounsi, soeur d’Amine et fondatrice du collectif Urgence notre police assassine, rappelle l’urgence de réclamer l’abrogation de l’article L435-1, véritable « permis d’exécuter et protection juridique » pour les agents de police. Fatou Dieng, qui représente le collectif Justice pour Lamine, son frère, renchérit : « on veut le désarmement de la police parce qu’elle tue, blesse, mutile, viole. Et c’est pareil pour la gendarmerie, pareil pour la prison ». Elle cite notamment les « trois technique mortelles » du pliage, du plaquage ventral et de la clé d’étranglement, qui ont causé notamment les morts de son frère ou celle d’Adama Traoré. Alors que la France est montrée du doigt par l’ONU et la Cour Européenne pour violences policières et discriminations raciales, Fatou Dieng constate : « la France préfère payer des amendes à la Cour Européenne que d’interdire ces techniques ». Et elle prend le temps de lire la longue liste des prénoms des victimes de la police en France.
Les révoltes qui ont suivi la mort de Nahel font également l’objet de prises de position claires : « l’expression de la jeunesse, ce qu’on appelle les émeutes, c’est l’expression de la violence d’Etat qu’ils subissent », analyse Amal Bentounsi. Magali, du collectif des mutilé.es pour l’exemple, parle de « rémeutes » pour souligner la dimension politique des actions de groupe qui ont suivi la mort de Nahel, et en appelle à une pédagogie de la lutte : la diffusion des connaissances des Legal Team auprès des plus jeunes, celles et ceux qui subissent GAV, comparutions immédiates, condamnations disproportionnées. A son tour, Omar Slaouti réclame « l’amnistie pour les révolté·es », victimes d’une justice de classe qui condamne à la prison ferme des adolescent.es ayant pris une canette ou du maquillage dans des magasins détruits.
Vanessa, survivante d’un tir de LBD à la tête lors de l’acte 5 des Gilets Jaunes, rapporte que sur 65 personnes éborgnées en France par cette arme, 30 étaient des manifestant·es, les autres des supporters de foot ou des habitant·es de quartiers populaires, là « où ces armes ont été testées ». Elle répète que « toute blessure est grave », qu’ « il faut savoir s’entourer parce que seul·es, ils nous brisent ». Samia, la tante de Souheil, déclare encore : « nous avons besoin de tout le monde ». »
Source : blog Médiapart de Jeanne Guien, chercheuse indépendante