Des pauvres qui se tiennent sages
Le 23 août la préfecture du Val d’Oise annonçait fièrement dans un tweet l’expulsion d’« un émeutier » de son logement social ainsi que de l’ensemble des occupants du logement. Ce dont ne se vante pas la communication du préfet, c’est que la maman du jeune homme, quatre de ses enfants ainsi que sa petite-fille de 2 ans se retrouvent désormais sans domicile, expulsés sans proposition de relogement ni autre forme de procès. Le jeune a pourtant déjà été (lourdement) condamné par la justice suite à sa participation au pillage d’un magasin de son quartier lors des émeutes consécutives à l’exécution de Nahel.
Bien qu’une expulsion ne puisse résulter que d’une décision de justice motivée par un non-respect du bail, le préfet Philippe Court revendique pourtant cette décision punitive et inédite au nom de la « morale ». Il la présente comme la conséquence des « troubles à l’ordre public » commis par le jeune locataire lors des émeutes. Cette notion floue et élastique permettrait donc de faire tout et n’importe quoi au nom d’un nouvel ordre moral ?
La maire de Deuil-la-Barre, commune où résidait la famille, réalise une cascade sans trucage en invoquant également le fait que le pillage a eu lieu dans un magasin du quartier, ce qui justifie selon elle l’expulsion au nom de troubles du voisinage.
En fait, la préfecture semble avoir profité d’un problème d’impayés datant de 2017 qui avait donné lieu à un avis d’expulsion en 2018 non suivi d’effet. L’affaire avait été réglée par la suite, mais la préfecture a choisi d’exécuter le jugement préexistant. On voit donc ici comment les situations de précarité sont utilisées pour criminaliser et réprimer.
La préfecture du Val d’Oise a déjà expulsé 29 familles en 2023 pour des faits de délinquance (pour drogue et rodéos principalement) et d’autres sont annoncées… Une convention signée en 2018 à l’initiative de la préfecture entre celle-ci, le parquet de Pontoise et les bailleurs sociaux autorise la rupture du bail en cas d’occupation des lieux qui ne serait pas « une occupation paisible ».
Au nom de la paix et de la tranquillité, on met donc à la rue des familles entières. C’est une façon pour l’exécutif de montrer du doigt les mauvais pauvres, de faire peur mais aussi de désigner les parents comme coupables pour mieux se dédouaner de l’aspect social et politique de certains faits de délinquance.
Les locataires seront-ils bientôt choisis en fonction de leur conformité avec ce que les pouvoirs en attendent, à savoir la résignation et la soumission ? Cette logique de conditionnement des droits est dangereuse. C’est une pente qui mène au fascisme. Permettre l’accès aux aides seulement aux personnes méritantes selon des critères fixés par les autorités revient à créer des citoyens de seconde zone exclus des mécanismes de solidarité. C’est une forme de contrôle social intolérable. Pourtant on ne demande même pas aux élus qui sont censés représenter le peuple d’avoir un casier vierge. Avoir été condamné semble même un plus pour entrer au gouvernement de Macron.
Les personnes qui ont des démêlés judiciaires sont par ailleurs déjà sanctionnées par la justice. Elles ne devraient pas craindre en plus de perdre leur logement, et leurs familles encore moins. La préfecture utilise ces procédures pour mener des représailles, déloger les indésirables et servir d’exemples.
L’État ne connaît que la logique de répression qui nie toute dimension de révolte sociale et responsabilité politique dans les émeutes et, de façon plus générale, dans la délinquance. Elle s’inscrit dans un discours sur la responsabilité individuelle qui fustige tour à tour les parents, les adolescents « perdus » et les territoires pour lesquels est convoqué tout le champ lexical guerrier, que seule l’autorité restaurée pourra sauver. Sans jamais interroger le rôle d’un système oppressif dans lequel prospèrent la misère et les injustices. Un logement pour tous devrait être un droit universel et non une faveur ou une monnaie d’échange pour bon citoyen.
Dans la foulée des émeutes, Macron s’était empressé début juillet d’annoncer aux maires sa volonté de déléguer aux communes l’attribution des logements sociaux. Or d’après Fabien Desage, universitaire spécialiste de la question, nombre d’élus locaux attribuent les logements selon une sélection sociologique excluant les personnes racisées ou marginales, et concentrent dans les seules communes qui jouent le jeu les ménages DALO (droit au logement opposable), sous l’argument fallacieux de préserver la mixité sociale.
Il nous semble particulièrement important dans le contexte actuel de se dresser contre ces logiques autoritaires de répression et d’exclusion, et de revendiquer un logement pour toustes.