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CHU de Nantes : un naufrage annoncé

Photo crédit inconnu prise en manif. Banderole de soignants "Soignants en pénurie au péril de vos vies".
Crédit inconnu

Témoignage de Mathieu Declercq, Pharmacien, militant pour l’accès aux soins et à la santé via le blog « Pour faire mieux » :

« CHU de Nantes : un naufrage annoncé »

Le CHU de Nantes a été confronté à de nombreux déboires ces dernières années, affectant l’accès aux soins, tant par des fermetures de lits que par son manque de soignants. Cet été, il est tristement devenu le symbole national de la faillite de nos services publics de santé (1).

Parmi les problèmes majeurs, on trouve notamment les conditions de travail déplorables. La pression croissante sur les équipes soignantes conduit à un nombre record de jours d’arrêt de travail : il est passé de près de 123 000 jours à plus de 279 000 entre 2011 et 2023 selon le bilan social de l’hôpital lui-même (2), soit plus d’un mois par agent en moyenne.

Entre 2015 et 2020, les heures supplémentaires ont explosé pour s’établir à 22 424 jours, et 48 482 jours de congés se sont retrouvés versés sur des comptes épargne-temps à défaut de n’avoir pu être pris malgré le besoin criant de repos. (3)

Ces conditions de travail dégradées entraînent une perte de sens du métier de soignant par impossibilité d’assurer des soins de qualité et en toute sécurité, et donc une fuite du personnel malheureusement compréhensible. Les mouvements sociaux se succèdent pour tenter de faire entendre raison aux dirigeants. Ces problématiques et l’incapacité de l’État à y répondre mettent en lumière la nécessité d’un financement à la hauteur et l’importance d’améliorer la qualité de vie au travail au sein de l’établissement.

Le CHU de Nantes a également été touché par plusieurs drames, notamment des retards dans la prise en charge, le diagnostic et le traitement, qui ont malheureusement conduit à des décès dramatiques. Ainsi, cet été, le syndicat FO du CHU a dénoncé 4 décès aux urgences (4). Les conditions d’accueil des patients, souvent indignes, ont entaché la réputation de l’hôpital, soulevant de graves inquiétudes quant à la qualité des soins prodigués, du fait du manque de personnel et du manque de moyens. Les patients ont en effet en moyenne 9 heures d’attente avant d’être pris en charge et parfois jusqu’à 70h d’attente aux urgences avant d’être hospitalisés !

Des critiques de longue date contre le CHU

La situation actuelle du CHU de Nantes n’est pas unique en France, mais elle est exacerbée par le projet de transfert de l’hôpital sur l’Ile de Nantes. Ce projet, initialement prévu pour 2026, a été retardé à plusieurs reprises en raison d’obstacles administratifs, de hausses de coûts et de difficultés avec les entreprises de construction. Ces complications ont légitimé les critiques sur la gestion du projet, qui, selon plusieurs collectifs d’associations, de syndicats (notamment la CGT du CHU) et de mouvements politiques, n’est pas un projet de santé mais un projet urbanistique coûteux, qui ne pouvait qu’entraîner la dégradation du service apporté à la population.

Un Projet de Soins Dangereux

Avec le projet de transfert, le CHU doit prendre le « virage ambulatoire », c’est-à-dire une organisation des soins dans laquelle le patient ne reste que quelques heures à l’hôpital et rentre chez lui le soir après ses soins ou son opération. Cela s’accompagne d’une diminution du nombre de lits et une réorganisation des types de lits, ce qui présente un risque pour la qualité des soins. Il s’agit là d’une vision à court terme qui pourrait se révéler dangereuse pour les patients. En effet, l’ambulatoire n’est pas adapté aux personnes fragiles, dépendantes ou gravement handicapées.

Le transfert est annoncé avec 1417 lits et 296 places. En 2007 le CHU de Nantes comptait 1483 lits et 128 places. Ce tour de passe-passe entre les lits et les places (66 lits en moins compensés par 168 places en plus) provient du choix de l’ambulatoire (une place ne prévoit pas de séjour pour le patient). La population en Loire Atlantique est en constante augmentation, en moyenne 1,1% soit 16 000 habitants de plus chaque année, une augmentation du nombre de lits et de soignants semble donc évidente pour faire face aux besoins de la population.

Nous avions donc un lit pour 865 habitants en 2007, nous n’en aurons plus qu’un pour 1 070 habitants en 2026. On peut même estimer ce chiffre à 1 lit pour 1 200 habitants en 2050 (5) si le nombre de lits au CHU reste inchangé d’ici là. Cette situation semble difficilement prise en compte par les autorités.

Les autres sites du CHU (hôpital Bellier, notamment) doivent également être fermés dans le cadre de la restructuration du CHU lors du transfert. Ces fermetures ne feront qu’accentuer la sous-capacité du futur CHU au regard des besoins de la population. Le cas de l’hôpital Nord-Laennec à Saint-Herblain fait l’objet d’aller-retours des autorités sur son destin, signe que la réalité du terrain oblige la direction du CHU à revoir sa copie pour ne pas nous précipiter encore plus vite dans l’abîme…

Enfin, la situation dramatique des services de psychiatrie, particulièrement aiguë en Loire-Atlantique, n’est pas du tout prise en compte dans le futur du CHU de Nantes.

Un mode de financement problématique

Le transfert de l’hôpital sur l’Ile de Nantes est un des projets publics les plus coûteux de ces dernières années. Annoncé autour d’un milliard d’euros, il pourrait coûter au final plus d’un milliard et demi. Il est financé en partie par l’État, en partie par l’emprunt, et pour un tiers en auto-financement par l’hôpital lui-même. Il faut donc que ce service public, depuis des années, ait pu mettre de l’argent de côté pour financer les travaux.

Ce mode de financement impose une discipline budgétaire stricte, qui nuit aux malades et aux soignants. Dépenser de l’argent pour un hôpital n’est pas un problème en soi, mais ici, les fonds sont dirigés vers le béton et les promoteurs, non vers les soins, l’investissement ou le personnel.  Combien de salaires de soignants auraient pu être financés avec ces 1,5 milliards d’euros pour pallier le manque de personnels que nous subissons actuellement ?

Le service public hospitalier est soumis à de fréquentes cures d’austérité, à coup de restructuration et de tarification à l’activité, depuis au moins la loi Bachelot (2009), qui a consacré la gestion d’un hôpital sur le modèle d’une entreprise.

Pour la presse, le financement est  « un défi de plus en plus complexe à relever », un « casse-tête » (6) : trois ans après un premier rapport déjà critique, la Chambre régionale des comptes des Pays de la Loire a produit un second rapport alarmant sur les conditions dans lesquelles le CHU va pouvoir financer son transfert à 1,5 milliard : des surcoûts non anticipés, l’inflation et la hausse des taux d’intérêts d’un côté, et une baisse des recettes de l’autre, rendent l’équation impossible pour le financement du nouvel hôpital.

Un non-sens urbanistique

De plus, ce projet urbanistique n’est pas à la hauteur. Il est trop petit pour ses besoins réels, et beaucoup plus petit que l’existant : nous passons de 67 hectares à 10,1 hectares !

En outre, il est peu accessible, sur une île et situé en zone à fort risque inondable surtout à l’échelle de la longue durée de vie prévue du CHU et les estimations de montées des eaux du GIEC qui placent l’île de Nantes à très haut risque d’inondations dans les prochaines décennies.

Les transports en commun pour y accéder sont complexes et coûteux à mettre en place, comme en témoigne l’enquête publique en cours. L’accès automobile, pour les ambulances et les pompiers est très difficile, avec quelques ponts d’accès fréquemment saturés.

Les partisans de cet hôpital nous rétorquent souvent que certains des problèmes présents sur le site de l’Hôtel Dieu se retrouvent ici. Mais n’aurions-nous pas pu profiter de ce déménagement pour résoudre ces problèmes au lieu de les perpétuer, en dépensant au passage 1,5 milliard d’argent public ? Sur cette plate-forme nous tâchons de proposer un chemin pour faire mieux, mais il semble que ce ne soit pas la volonté de tout le monde…

Quelles alternatives ?

D’autres pistes auraient pu être explorées, mais elles n’ont pas été étudiées : quid d’une rénovation des bâtiments du CHU existant, ce qui aurait sans aucun doute été bien moins coûteux que d‘en construire un nouveau ? D’un agrandissement de l’hôpital Nord-Laennec à Saint-Herblain, facilement accessible pour tout le nord du département ?

L’opacité du projet est alarmante et pose une question démocratique. La CNDP (Commission Nationale du Débat Public) n’a pas été saisie, pour quelles raisons ? Un contre-projet militant, pourtant très élaboré dès 2021, n’a pas été pris en compte, aurait-on pu avoir un projet plus ambitieux sinon ? (7)

Et maintenant ?

Il est désormais certain que cet hôpital verra le jour, mais il se révèle d’ores et déjà insuffisant. La bataille des syndicats, partis politiques et associations pour le maintien des autres sites hospitaliers du CHU, qui sont menacés, a commencé à porter ses fruits : cet été il a été annoncé par le président du Comité Médical d’Etablissement le maintien d’activités sur le site de l’hôpital Nord-Laennec qui devaient se trouver jusqu’ici transférées sur l’île de Nantes. D’autre sites, comme la Maternité et l’Hôpital Mère-Enfant (rénovés en 2010), ou tout autre établissement médical opérationnel, doivent être maintenus.

Nos revendications ne doivent pas s’arrêter là : la population est en augmentation, il faut revendiquer un système de soins à la hauteur. Ainsi, pourquoi ne pas se poser la question d’un deuxième service d’urgences publiques dans la Métropole, avec l’ouverture d’un service sur l’hôpital Nord Laennec ? Les locaux existent déjà, la solution pourrait se mettre en place rapidement et à moindres coûts.

La sauvegarde des services publics et l’accès aux soins sont en jeu. Nous ne pouvons pas abandonner ces services essentiels aux cliniques privées, qui n’ont pas les mêmes missions qu’un hôpital public. Elles sont là pour produire de la rentabilité pour leurs investisseurs et non pour répondre à nos besoins de santé.

Il est nécessaire qu’associations, syndicats et mouvements politiques continuent à faire front commun sur ce sujet à Nantes. Il nous faut un rapport de force local, sur ce sujet d’enjeu national.

Mathieu Declercq
Pharmacien, militant pour l’accès aux soins et à la santé

Nantais depuis une dizaine d’années, Mathieu exerce son métier de pharmacien en quartier populaire. Militant pour l’accès aux soins et aux services publics, il est convaincu que la lutte pour défendre l’hôpital public et la qualité des soins est primordiale. Il est membre du « Comité nantais pour le droit à la santé et et à la protection sociale pour tous et toutes » ».

(1) – Mediapart, article du 22 août 2024 : https://www.mediapart.fr/journal/economie-et-social/220824/la-serie-de-deces-aux-urgences-de-nantes-devient-le-symbole-de-la-crise-de-l-hopital

(2) – France Info, article du 26 juillet 2024 :
https://france3-regions.francetvinfo.fr/pays-de-la-loire/loire-atlantique/nantes/une-forme-de-tristesse-collective-envahit-l-hopital-crise-sociale-au-chu-de-nantes-3009857.html

(3) – CGT du CHU de Nantes, communiqué du 2 juin 2020 :
https://www.cgt-chu-nantes.org/actualites/prime-exceptionnelle-diviser-pour-mieux-regner

(4) – Ouest France, article du 14 août 2024 :
https://www.ouest-france.fr/sante/des-patients-en-file-dattente-qui-decedent-seuls-dans-des-urgences-du-chu-saturees-1923d2e6-5a19-11ef-aca8-aadd4a56ff25

(5) – INSEE, projection de la population de Loire-Atlantique en 2050 : https://www.insee.fr/fr/statistiques/7703615

(6) – Mediacités, article du 18 mai 2023 : https://www.mediacites.fr/decryptage/nantes/2023/05/18/financement-du-nouveau-chu-de-nantes-un-defi-de-plus-en-plus-complexe-a-relever/

(7) – Collectif CHU Action Santé, communiqué du 4 mai 2022 : https://chuactionsante.fr/index.php/projet-chu-a-nantes/27-un-autre-chu-est-possible-a-nantes