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Alerte opération Wuambushu

Photo de David Lemore. 
Un groupe d'une quinzaine de policiers vu de dos attendant l'amarrage d'un bateau. Légende ; "Opération Wuambushu".
Crédit photo : David Lemore.

Il y a une agitation brune digne des pires cauchemars du passé sur l’île de Mayotte. Les hôtels ne sont pas remplis de touristes mais de gendarmes, dont le nombre devrait encore augmenter (500 sont attendus), des véhicules de maintien de l’ordre sont arrivés. L’objectif ? « L’opération Wuambushu » (« reprise » en shimaoré) qui se prépare pour le 20 avril et devrait durer 2 mois. 

Il s’agit d’une vaste opération de « décasage », par la destruction de 1000 habitations de migrantEs ComorienNEs suivie de leur expulsion. Or ces personnes sont déjà touchées par le mal-logement et la malnutrition. L’expulsion massive des personnes en « situation irrégulière » qu’on a pourtant laissées entrer et travailler dans des conditions d’exploitation prouve que le colonialisme n’est pas derrière nous, dans un territoire sans eau courante, où 80% de la population vit sous le seuil de pauvreté et où les services publics sont sous-investis. 

Nous assistons atterréEs à cette banalisation et ces glissements sur une pente toujours plus dégueulasse. Nous craignons un effet l’absence de réaction de la population de l’hexagone, parce qu’on ne se sentirait pas concernéEs, parce que c’est loin Mayotte… Il s’agit pourtant sans aucune hésitation d’une politique raciste et coloniale menée par Macron et son zélé sinistre de l’intérieur. Le plan qu’ils ont préparé cette fois fait très clairement penser à une rafle, dans une opération qu’ils voudraient massive et rapide. 

Malheureusement, comme pour Calais ou Grande-Synthe, cette opération coercitive risque de créer plus de tensions ensuite, sans compter qu’elle ne règlera ni les causes ni les conséquences de l’immigration.

Nombreuses sont les voix qui s’élèvent contre ce projet car les impacts sur la population vont être majeurs, pas seulement pour les personnes en situation irrégulière.

La CNCDH (Commission Nationale Consultative des Droits de l’Homme) alerte ainsi sur « l’aggravation des fractures et des tensions sociales dans un contexte déjà très fragilisé, d’une part, et l’atteinte au respect des droits fondamentaux des personnes étrangères dans le cadre d’expulsions massives, d’autre part ». (1

L’UNICEF s’inquiète des impacts sur « les droits des enfants les plus vulnérables présents sur le territoire, notamment des mineurs étrangers et des mineurs en conflit avec la loi« , des risques d’erreurs dans les procédures d’expulsion et rappelle que « les enfants et les jeunes sont souvent les premières victimes des carences et dysfonctionnements des services publics ». (2) S’il était besoin de le prouver, le Conseil Départemental de Mayotte vient d’ailleurs de décider ce 12 avril de ne plus accueillir les personnes sans papiers dans les centres de Protection Maternelle Infantile (PMI) à compter du 1er juillet, du fait de l’absence de soutien financier de l’État, et les renvoie vers l’hôpital. Or, de l’aveu même de la Commission des affaires sociales du Sénat, l’hôpital de Mayotte est débordé et « n’est pas en capacité de faire face aux besoins ni d’accueillir les patients dans des conditions satisfaisantes ». (3) Quand on sait que 85% du public accueilli à la PMI est sans papiers et que l’Aide Médicale d’Etat (AME) n’est pas appliquée à Mayotte, on ne peut qu’être très inquietEs pour la population.

Des soignantEs dénoncent également dans une tribune les conséquences délétères de cette opération en matière de santé sur les patients dans un système qui est déjà exsangue : « génération de situations à risque infectieux épidémique dans les zones d’hébergement d’urgence (promiscuité, rupture d’approvisionnement en eau potable, forte incidence des pathologies hydriques et des maladies à prévention vaccinale) ; limitation de l’accès aux soins, quels que soient les individus soit à cause de la destruction de leur habitat, soit à cause des contrôles d’identité exacerbés, soit par l’effet indirect des blocages et des violences ; ruptures et retards de prise en charge : décompensation des pathologies chroniques, retards diagnostiques, isolement des enfants malades sans parents, abandon des patients avec handicaps majeurs et décès à domicile ; majoration des coûts économiques pour le service public, due notamment aux effets collatéraux pour les patients graves décompensés à court et à moyen terme ; restriction de l’offre de soins : déprogrammation de la réserve sanitaire en appui sur le territoire, effet délétère sur l’attractivité des personnels soignants dans le département ; retentissement structurel sur la société civile : surcharge des infrastructures sanitaires en aval des opérations et dépassement des capacités de prise en charge, déficit d’hébergements avec précarisation secondaire, surrisque épidémique, violences (physiques et psychologiques subies), préjudices moraux et psychologiques irréversibles notamment chez les enfants, augmentation du nombre de mineurs isolés ». (4)

Nous trouvons sidérant et insupportable qu’on puisse détruire l’habitation des gens, que cette violence, comme celle infligée à répétition aux réfugiés de Calais entre autres, puisse s’abattre dans l’indifférence la plus totale. De même à Paris, les mineurs isolés qui n’ont pour toute fortune sur Terre qu’une couverture et une tente sont obligés de se cacher de la police qui les leur vole de façon répétée, au risque de s’isoler. On ne comprend pas comment, dans le même temps, on est capables d’envoyer des moyens humains et techniques très importants pour aider une population suite à un tremblement de terre par exemple, et tout aussi capables de détruire l’abri misérable de personnes jugées, elles, non dignes, non légitimes à bénéficier de ce qui est pourtant essentiel : un chez soi, un toit, un contenant protecteur. Une nouvelle étape dans la déshumanisation est franchie.

Et là vu les moyens envoyés à Mayotte, on peut s’attendre à une opération intense, très violente. Le gouvernement envoie la CRS8, une brigade réputée pour sa violence, ainsi qu’une vingtaine de membres de l’ERIS, des matons formés pour réprimer les émeutes de détenus. Le ton est donné. Comment les gens, adultes et enfants, vont-ils pouvoir se remettre de ce traumatisme là ? La violence infligée par l’État et son bras armé va avoir des effets sur le long terme pour ces personnes, ces familles.

On peut également s’inquiéter du respect des droits dans cette situation. Une brigade de 6 magistrats va être envoyée à Mayotte pour traiter les demandes de recours (qui sont, c’est important de le préciser, non suspensifs, c’est-à-dire que les dossiers seront étudiés après l’expulsion des personnes), mais leur présence n’est pour l’instant pas assurée au-delà du 2 août… 
Le Syndicat de la Magistrature s’alarme de cette opération « sans précédent » qui fait « un amalgame entre immigration et délinquance » et dénonce une « instrumentalisation dont fait l’objet l’institution judiciaire qui se retrouve mise au service d’une politique pénale décidée par le ministère de l’Intérieur. » Ils craignent que « les magistrats n’aient d’autre choix que d’être au service d’une politique pénale du tout répressif et expéditive, dans une ambiance de chasse aux sans papiers et de potentielles émeutes ». (5)
Une fois encore le judiciaire va être empêché et soumis à la politique, c’est une dérive contre laquelle il faut nous battre à tout prix. 

Les dirigeants se servent des territoires colonisés qui sont aussi les plus pauvres (Mayotte est le territoire où la dépense de l’État par habitant est la plus faible de France) comme laboratoires pour leur politique du pire et de la situation sociale difficile de l’île comme excuse pour la nécessité de rétablir « l’ordre ». Mais l’ordre de qui ? La sécurité est toujours invoquée lorsqu’il s’agit de s’en prendre aux plus précaires, alors que les politiques de l’Etat injustes et prédatrices plongent les populations dans le désordre et la pauvreté. Les matraques et les bulldozers n’ont jamais été une solution. On ne soigne pas une carrie en arrachant la mâchoire.

De plus l’ARS de Mayotte a annoncé faire la promotion de la contraception et des opérations de ligature des trompes auprès des femmes de l’île pour lutter contre la forte natalité, au prétexte que les infrastructures, et en particulier les hôpitaux et les écoles, sont débordées. (6) Les autorités préfèrent donc faire peser sur les femmes la responsabilité de la crise sociale et sanitaire traversée par Mayotte. Elle est pourtant le résultat direct des décisions politiques de la France de ces dernières décennies.

La situation à Mayotte pourrait en effet bien servir de tremplin pour la loi Asile et Immigration qui sera discutée au Sénat à partir du 28 mars. Si elle est rejetée dans son ensemble par les droites et la gauche pour des raisons très différentes, elle pourrait être votée par morceaux, à la faveur d’alliances opportunistes avec les autres partis. Avec cette petite musique (devenue un orchestre tonitruant) sur les étrangers en situation irrégulière ça risque même de passer crème, voire d’ouvrir un boulevard pour la suite de la carrière de Darmanin qui court dans les plates-bandes du RN en jouant la compèt du pire dans l’inhumain. 

L’opération Wuambushu, qui n’est pas encore officielle mais a été validée par Macron (7), est emblématique des glissements vers l’immonde et l’inhumain contre lesquels il est temps de se lever en masse.

#StopWuambushu