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Calendrier de l’Avent à l’hôpital. Le cynisme et la connerie ont-ils des limites ?

Visuel du Printemps du Care : 
Notre légende : "Calendrier de l'Avent à l'hôpital. Le cynisme et la connerie ont-ils des limites ?" 

Dessous le calendrier de l'Avent du Centre Hospitalier de La Roche-sur-Yon avec légende : "Noël J-30 les festivités démarrent la semaine prochaine !" Les 24 cases avec une idée pour chacune. En bas : "Téléchargez votre calendrier de l'Avent la bienveillance entre collègues !"
Crédit : Centre Hospitalier Départemental Vendée La Roche-sur-Yon

Les services communication de plusieurs hôpitaux ont pondu un « calendrier de l’avent de la bienveillance ». Ici, celui de La Roche-sur-Yon « spécial collègues ». Le dégueuli du néolibéralisme capitaliste s’y exprime sous une forme ultra condensée. Une véritable parodie à laquelle il nous est impossible de réagir sous quelque forme sarcastique. Tout y est :

– Si on n’avait plus aucun doute sur le fait que Noël avait définitivement été capté par l’économie de la marchandisation, un cran supplémentaire est franchi par les services comm des hôpitaux qui semblent avoir eu envie de rivaliser avec les fabricants de chocolats industriels, qui inondent les supermarchés dès le mois d’octobre, en produisant leur propre calendrier où les conseils de merde remplacent les chocolats de merde.

– La mention « Opération Happiness », au cas où les petits cadeaux de chaque case ne seraient pas assez explicites, véhicule l’idée nauséabonde que le bonheur est atteignable avec un peu de bon esprit individuel et de bonne volonté pour l’équipe. Celles et ceux qui trouveraient à redire à ce jovial emballement se feront taxer de vieux grincheux, de casseurs ou casseuses d’ambiance, de mouton noir de l’équipe. On reconnaît ici la mode néolibérale consistant à évacuer le négatif, non pas en s’y confrontant ensemble pour produire de la pensée, mais en adhérant individuellement à la philosophie du bonheur. Exit les Risques Psycho-Sociaux, vive la Qualité de Vie au Travail ! 

– La morale à deux balles contenue dans ces 24 propositions qui dessinent le parfait collaborateur et la parfaite collaboratrice : toujours de bonne humeur, iel fait des blagues à ses collègues, iel rend les lieux de travail conviviaux en les décorant, en y dansant et chantant, iel distribue les « mercis particuliers » et surtout, iel rend éternels tous ces beaux gestes par des photos qu’iel transmet au service comm pour alimenter sa propagande. Vous le voyez le cercle vertueux du bonheur en plastique fabriqué par le service comm ? La dépolitisation, voie royale vers le bonheur ! 

– La bienveillance, ce mot slogan qui renvoie chacun et chacune à sa responsabilité individuelle et pourrit cet idéal autrefois inhérent à l’engagement en le transformant en une injonction culpabilisante. Car, dans ce monde de la pensée binaire, si l’on n’est pas ou ne cherche pas à être bienveillant-e, on ne peut être que malveillant-e.  

– La mauvaise foi caractérise ce tas d’immondices. Surtout cachez ces problèmes que l’on ne saurait voir. Dans les services, les prises en charge se dégradent, les soignant·es souffrent, finissent massivement par partir, mais chut, clamons plutôt haut et fort qu’on est tellement bien à l’hôpital quand on est bienveillant-es ! Dans la vraie vie, les soignants et soignantes n’ont pas le temps d’aller aux toilettes et mangent à pas d’heure (quand iels le peuvent) mais il faudrait trouver le temps de danser ? Ne parlons même pas du pull, quand on vient prendre la tête aux agents parce qu’iels portent des manches longues et que c’est interdit pour des questions d’hygiène, là, pour l’occasion, le joli pull kitch de Noël ne pose pas de problème, c’est pour la bonne cause ! 

Mais dans quel monde vivent celles et ceux qui pondent des trucs pareils ou qui encouragent leur publication ? Ah oui pardon loiiin des services, ou alors ils les traversent de temps en temps avec leurs lunettes capitalistes achetées au distributeur de bonheur. 

Ce calendrier n’est qu’un des nombreux jouets tout droit sortis de la compétition encouragée par le néo management public hospitalier. Dans la même ligne, on a eu droit aussi à des conneries inventées avec zèle par les services comm pour « la semaine de la sécurité des patients » lancée par le ministère qui s’improvise GO du club médical : escape games, jeux avec lots à la clé et autres réjouissances complètement déconnectées de ce que vivent les soignant·es sur le terrain. 
La comm et la qualité devraient être 2 directions à gicler direct dans le monde du futur quand on réorganisera l’hôpital …

De plus en plus souvent, les gens doivent renoncer à leurs jours de repos et de congés pour assurer les soins face au manque croissant d’effectifs, à l’impossibilité d’assurer les remplacements. Iels sont en dernière ligne pour porter la responsabilité de la qualité des soins, abandonnée par l’institution et l’État, et en première ligne pour assister, impuissant·es, à des prises en charge complètement déconnantes, à des décès qui auraient pu être évités. Les directions ont beau s’essayer à la magie de Noël, leur poudre de perlimpinpin ne suffira pas à masquer la réalité, à retenir les professionnel·les et à recruter. Ras-le-bol de cette ambiance infantilisante. Ça nous met en rage de telles conneries. Tiens, d’ailleurs ça nous a donné envie de sortir notre calendrier de l’avent, version Auto-défense 🔥🔥🔥

Le soin est politique.
Organisons-nous.