Les plus précaires, premières victimes de l’effondrement du système de santé
« Les personnes en situation de précarité sont les premières touchées par la crise du système de santé en France. Les inégalités de santé se creusent et sont renforcées par des accès aux droits et aux soins discriminatoires. » alerte Médecins Du Monde dans son rapport annuel. L’ONG craint aussi un risque de généralisation des difficultés d’accès aux soins dans un contexte de double crise pandémique et hospitalière.
Médecins Du Monde note une augmentation notable du nombre de personnes prises en charge en 2021. De nationalité étrangère (97%), en situation irrégulière (53%) ou demandeuses d’asile (12%), parfois mineures (9%) ou mineures non accompagnées (38% des enfants), les personnes accueillies vivent dans une très grande précarité, en-dessous du seuil de pauvreté (97%) et sans logement (92%).
La précarité entraine des retards de soins car lorsque la priorité est de trouver de la nourriture et un toit, la santé passe au second plan. C’est ainsi que 40% des personnes reçues par Médecins Du Monde (et 56% des mineurs) nécessitent une prise en charge urgente.
L’ONG dénonce le non-respect des droits des demandeurs d’asile (2 sur 5 sont sans logement) et des mineurs non-accompagnés (87% n’ont pas accès au remboursement des soins).
« Tout un chacun doit être en mesure d’effectuer des choix concernant sa santé. Cela n’est possible que lorsque l’accès aux droits, aux soins et à un logement est garanti. » Les politiques publiques ont donc un rôle majeur dans la réduction ou l’aggravation des inégalités des conditions de vie ou d’accès au système de santé et de soins.
En lien avec la situation pandémique, Médecins Du Monde alerte également sur la difficulté pour ces populaires très précaires à accéder à la vaccination anti-Covid (15 points de moins que le reste de la population).
« La mise en place du passe sanitaire dans les hôpitaux et des rendez-vous programmés est extrêmement dommageable pour les personnes concernées. L’accès à ce passe est complexe voire impossible pour les personnes en situation d’extrême précarité rencontrées par Médecins Du Monde. Or, le cumul des comorbidités médicales et des fragilités sociales expose à de potentielles complications en cas de contamination, notamment pour les personnes atteintes de maladies chroniques et ne bénéficiant pas d’accès régulier aux soins. »
Médecins Du Monde milite pour que les États limitent les abus de monopoles exercés par les firmes pharmaceutiques et assurent une forte coopération pour que les droits de propriété intellectuelle, les vaccins et traitements anti-pandémiques soient de façon effective un bien public mondial, librement accessible à tous.
Quelle que soit la maladie transmissible, il est extrêmement important d’identifier les personnes exclues du droit commun et d’adapter les programmes de prévention, d’information et de vaccination. C’est pourquoi MDM recommande que :
- les campagnes d’information soient claires, accessibles et personnalisées, coproduites et diffusées par des sources fiables au sein des communautés de personnes précarisées, marginalisées ;
- les jeunes se déclarant mineurs, quel que soit leur statut officiel (reconnu ou non comme tel) aient un accès égal aux soins ;
- les stratégies de santé publique ne soient pas un moyen de contrer la libre circulation des personnes.
Pour garantir un accès équitable et efficient aux Droits et Santé Sexuels et Reproductifs (DSSR) à toutes les personnes, y compris celles sans couverture maladie, Médecins Du Monde recommande :
- de développer des scénarii de dépistage et de prise en charge simplifiés des IST et cancers génitaux ;
- d’étendre à toutes les IST (Infections Sexuellement Transmissibles) l’offre de dépistage sans prescription et gratuite en laboratoire ;
- de garantir la gratuité et l’effectivité de toutes les contraceptions pour assurer un choix libre et éclairé des personnes ;
- d’assurer un accompagnement adapté et renforcé des femmes précarisées enceintes et en post-partum pour réduire les risques liés aux grossesses pathologiques ;
- d’inscrire le droit à l’IVG et des DSSR dans la Constitution de la République française.
En outre, la crise de l’hôpital, majorée depuis la pandémie, entrave l’accès aux soins. Les hôpitaux et les permanences d’accès aux soins de santé (Pass) sont saturés, affectés par le manque de moyens et de personnel social et médical. Avec des délais de rendez-vous plus longs, les patients retardent ou renoncent à leurs soins (1 personne sur 2 accueillie par Médecins Du Monde est en retard de soins). Pour ne pas créer un système à deux vitesses qui alimente la stigmatisation, les hôpitaux publics et les Pass doivent être financés à la hauteur des besoins sur les différents territoires.
Autre inquiétude : le « forfait urgences » mis en place en 2022 (19.61€ pour un passage sans hospitalisation) va majorer les difficultés d’accès aux soins des plus précaires : « C’est le cas des trois millions de personnes sans complémentaire santé, pourtant particulièrement fragiles et vulnérables, chômeurs, retraités, petits indépendants notamment. » Cette mesure « produit déjà des effets d’autocensure de publics marginalisés, craignant d’avoir à payer, et renonçant ou retardant donc leur venue à l’hôpital ».
« C’est à l’État de garantir un égal accès aux soins et à la santé pour toutes et tous. Pourtant, depuis plusieurs années, il échoue. Les choix opérés ont conduit à l’effondrement de notre système de santé. Pire, nous assistons à une utilisation politique déplacée du droit inconditionnel de chacune et chacun à se soigner. »
La complexité administrative, avec une multiplicité des dispositifs de couverture santé, très peu connus des plus précaires, majore les difficultés d’accès aux soins. « L’absence de volonté politique de favoriser un accès aux soins et aux droits pour toutes et tous, et ce peu importe le statut, le genre ou la situation économique, conduit à des renoncements et des retards de recours aux soins qui s’avèrent coûteux d’un point de vue humain et économique ». Médecins Du Monde demande donc une couverture unique et la suppression des délais de carence pour les demandeurs d’asile (3 mois) instaurés depuis la réforme de 2019 dont les effets sont dévastateurs.
« Combien d’années devrons-nous encore attendre pour voir se concrétiser un véritable droit à la santé ?
En 2021, parmi les personnes disposant de droits théoriques à la couverture maladie, 81,3% n’en bénéficiaient pas.
La France fait partie des pays où, malgré un bon état de santé général en moyenne, les inégalités sociales de santé sont parmi les plus fortes en Europe occidentale (Menvielle & Lang, 2021). »
La santé est un bien commun.
La solidarité envers toutes et tous doit être un pilier de la politique sanitaire.
Le soin est politique.
Synthèse de l’Observatoire de l’accès aux droits et aux soins de Médecins Du Monde