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Lettre ouverte aux soignant·es tenté·es par le vote RN

Crédit  photo : Nicolas Messyasz/SIPA pour l’Humanité

Nous, soignant·es, avons de nombreuses raisons d’être en colère mais la politique du bouc émissaire nous précipite vers le pire. Par Sophie Crozier, Agnes Hartemann, Yasmina Kettal, Olivier Milleron, Pierre Schwob, Anne Françoise Thiollier.

Nous, soignant.es, sommes en colère car nous constatons depuis plusieurs années la dégradation de notre système de soin faisant de la France un désert médical. L’hôpital public a été méthodiquement détruit par l’idéologie de l’hôpital entreprise et par la notion de rentabilité. Le management maltraitant a conduit les soignant.es à maltraiter les patient.es. Les personnels hospitaliers désertent, découragés de ne pouvoir soigner correctement.

Nous sommes en colère parce que nous alertons depuis des années pour dénoncer cette situation. En mars 2019 a débuté une grève inédite des services d’urgences et le 14 novembre 2019, plus de la moitié du personnel médical et plus de 20 % du personnel paramédical étaient en grève, les opérations non urgentes ont été déprogrammées, les cours reportés dans les facultés de médecine, des manifestations se sont déroulées dans toute la France pour « sauver l’hôpital public ». Sans effet!

Puis, la crise du COVID nous a saisi, nous avons fait face, nous avons réorganisé l’hôpital au bénéfice du soin, nous avons été applaudis par la population tous les soirs à 20 heures.

Au cœur de la crise, on a parlé du « monde d’après » qui ne serait pas un retour à “l’anormal” et le Président de la République a déclaré « la santé gratuite sans condition de revenu, de parcours ou de profession, notre État Providence, ne sont pas des coûts ou des charges mais des biens précieux, des atouts indispensables quand le destin frappe. Ce que révèle cette pandémie, c’est qu’il est des biens et des services qui doivent être placés en dehors des lois du marché ». Un certain nombre d’entre nous y ont cru ! Il ne serait pas possible de reprendre comme avant, tout allait changer, la gouvernance, le financement, les salaires, les conditions de travail et donc la qualité des soins. Nous pensions que nous allions pouvoir retrouver du sens et notre fierté de soignant.es. Mais nous avons été trahis.

Notre colère est légitime. Mais aujourd’hui notre pays est dans une situation politique périlleuse et le choix que doit faire chaque électrice, chaque électeur est historique.

La colère conduit certain.es d’entre nous à envisager de donner leur voix à un.e candidat.e du Rassemblement National. Il nous semble cependant que ce choix serait une erreur.

Nous avons constaté pendant la pandémie la puissance et l’importance des valeurs de solidarité dans le collectif de soin. Le choix du RN, c’est briser cette solidarité en désignant un coupable, l’immigré et sa famille, alors qu’ils ne sont pour rien dans la situation actuelle du système de santé.

Remplacer l’Aide Médicale d’Etat (AME) par une aide d’urgence vitale nous conduirait à ne pas soigner des personnes pourtant gravement malades. En cas de découverte d’un cancer du sein par exemple, il faudra attendre que le cancer soit métastasé pour finir par admettre la patiente en urgence à l’hôpital. C’est éthiquement inacceptable et, en plus, c’est absurde car il est évident que cela coûte beaucoup moins cher de traiter une maladie débutante plutôt qu’à un stade avancé.

D’autant que l’AME ne représente que 0.5% du budget de la Sécurité Sociale avec moins d’1% de fraudes [1]. Le taux de non recours est d’ailleurs de 50%: la moitié des étrangers qui pourraient en bénéficier n’ont pas recours à l’AME [2] contredisant le fantasme des étrangers qui viennent en France pour profiter des prestations sociales.

Le RN souhaite limiter l’accès à certains métiers du service public pour les binationaux. Nos services sont faits de la diversité de notre pays. Pouvez-vous imaginer demander à notre collègue médecin de quitter l’hôpital parce qu’il est franco-malien ou notre collègue infirmière parce qu’elle est franco-marocaine ?

Aujourd’hui, notre hôpital public est fragilisé, nous manquons de bras. Et pourtant, la préférence nationale, la remise en cause du droit au regroupement familial et l’ambiance de défiance envers les personnes immigrées risquent de faire fuir nos collègues étrangers.

A la honte d’un vote contre nos collègues, nous ajouterions l’aggravation de la crise de l’hôpital quand de nombreux services ne restent ouverts que grâce à la présence de médecins étrangers.

Les professionnel.les de santé sont majoritairement des femmes. L’histoire et les expériences étrangères nous montrent que lorsque l’extrême droite prend le pouvoir les droits des femmes sont en danger. Il y a quelques semaines, la moitié des députés du RN ont voté contre l’inscription du droit à l’avortement dans la constitution.

Le RN dit qu’il veut augmenter les salaires en diminuant les cotisations sociales. Mais ce sont ces cotisations sociales qui financent la Sécurité Sociale et l’hôpital public. Ce que l’on donnerait d’une main, serait repris de l’autre.

Le RN dit vouloir améliorer notre pouvoir d’achat mais il a voté contre l’augmentation du Smic et contre l’indexation des salaires sur l’inflation.

Surtout, tout ce qui sera refusé à nos collègues et à nos patients étrangers ne permettra en aucun cas d’améliorer ni nos salaires, ni nos conditions de travail, ni la qualité des soins.

Au cœur de la crise du COVID, nous avons pu constater qui sont les premiers de corvée. A l’heure du choix, il convient de ne pas diriger notre colère contre des boucs émissaires mais d’œuvrer collectivement à la défense d’un des piliers de notre société: l’hôpital public que nous faisons vivre chaque jour toutes et  tous ensemble. Restons solidaires. »

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