L’Europe se barricade ⛔️
Le 14 novembre dernier le Sénat a voté le 117ème texte sur l’immigration depuis 1945. Un texte qui intègre des mesures que jusqu’ici seul le RN demandait. Heureusement qu’il reste la disposition des places dans l’hémicycle pour distinguer le RN des LR et LREM.
Le Sénat, dominé par LR, a adopté une version encore plus dure du projet de loi du gouvernement. Les migrants y sont sans cesse représentés sous la forme d’une menace, d’un déferlement à contenir. Rien que le titre « pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration » nous renseigne sur l’esprit du texte. Les migrants sont toujours présentés comme un problème, excepté un amendement qui facilite l’obtention des titres de séjour des britanniques propriétaires d’une résidence secondaire en France. Entre riches on se soutient. Les autres migrants sont une masse qu’il faudrait endiguer, contrôler, enfermer, exclure, domestiquer, déchoir…
Le projet de loi envisage de ne plus attacher des droits à la situation des personnes mais de laisser à la discrétion des préfets la décision de l’obtention des titres de séjour. C’est-à-dire à instituer l’arbitraire, l’opacité, l‘instabilité et la rupture d’égalité de traitement en fonction des territoires. Sachant que les préfets restent les chausse-pieds de l’État et sont priés d’obéir.
Le texte attaque les droits des personnes à travers différents aspects. Le droit du sol est remis en cause, une disposition demandée par le RN depuis des années. L’obtention de la nationalité des enfants nés en France de parents étrangers ne serait plus automatique. La suppression de l’AME remet en cause le droit inconditionnel aux soins. Le droit de vivre avec les siens est également limité avec le durcissement des conditions d’accès au regroupement familial, notamment financières. Le projet atteint aussi le droit des migrants à la justice avec des amendements qui fragilisent leur défense et l’accès aux recours. Le nombre de juges de la CNDA (Cour Nationale du Droit d’Asile) chargés d’examiner les recours des demandeurs d’asile déboutés passe de 3 à 1. Ils seront donc davantage soumis à l’arbitraire d’une justice expéditive et potentiellement partiale. Les recours restent possibles en théorie mais les conditions matérielles de saisie du juge la rendent inaccessible pour beaucoup. De même, la délivrance d’une OQTF (Obligation de Quitter le Territoire) après le rejet définitif d’une demande d’asile devient automatique et occasionne l’interruption immédiate de la prise en charge des soins (contre 12 mois actuellement).
Les migrants sont également criminalisés avec le retour du délit de séjour irrégulier, l’autorisation des gardes à vue pour vérification d’identité (dans le programme 2022 du RN !), l’extension des OQTF en cas de délits passibles de 3 ans de prison minimum aux personnes qui en étaient jusqu’ici protégées, comme les conjoints de Français, les parents d’enfants français, ou encore les résidents sur le territoire depuis plus de 10 ans. L’usage de la double-peine s’élargit donc.
De plus, des amendements permettent l’expulsion pour des notions juridiquement très floues et qui pourraient ouvrir la porte à des interprétations politiques, comme on l’a déjà vu par ailleurs. Ainsi l’autorité publique peut s’opposer à l’acquisition de la nationalité par le droit du sol d’un étranger « qui n’est manifestement pas assimilé à la communauté française ». Comme si la « communauté française » était monolithique, définie et immuable ! L’Etat peut aussi expulser pour « non-respect des valeurs de la République » ou encore « pour menace grave à l’ordre public », sans que ne soit définie la gravité de la menace. A l’heure où le simple fait de défendre des opinions différentes de celles du gouvernement en manifestant peut valoir des condamnations ou de se faire traiter d’écoterroriste, où les musulmans sont trop souvent suspects d’office et invités sans cesse à montrer patte blanche et à avoir la pensée qui correspond à la doxa du moment, on est en droit de s’inquiéter de la tournure de cette loi.
L’injonction à être assimilé criminalise la différence tandis que de l’autre côté l’Etat français fait tout pour rendre les conditions de vie matérielles des étrangers difficiles, et donc pour les marginaliser. Ainsi, le projet prévoit, comme le demande le RN depuis toujours, de supprimer les allocations (allocations familiales, APL, Prestation de Compensation du Handicap) pour les personnes sur le territoire depuis moins de 5 ans. On sait pourtant combien ces allocations sont importantes pour que les nouveaux arrivants ne sombrent pas dans la misère totale. On imagine les conséquences terribles pour les étudiants étrangers qui ne pourront plus toucher les APL. Et comment sont censées survivre les personnes handicapées ? On rappelle d’ailleurs au passage que bien souvent les étudiants étrangers cotisent et travaillent, alors que l’immense majorité de leur formation a été supportée par leur pays d’origine. Pourquoi donc seraient-ils évincés du peu qu’il reste des mécanismes de redistribution des richesses ? La proposition de loi prévoit d’exclure également les personnes sous OQTF de l’hébergement d’urgence, remettant en cause l’aide au logement inconditionnelle. Les nouveaux migrants qui fuient souvent la misère ou la guerre dans leurs pays arriveront donc en France dans des conditions matérielles dégradées, parfois sans parler la langue, sans accès garanti aux soins, dans une société dont une partie les considère indésirables et dangereux. Bienvenue en France. Cette loi raciste, xénophobe et validiste crée elle-même les conditions d’une mauvaise « intégration » en semant d’embûches le parcours des migrants.
Dans un contexte géopolitique qui augure de nombreuses guerres impérialistes et conflits à travers le monde, dans un monde où l’exploitation capitaliste et le réchauffement climatique risquent de rendre la vie impossible sur leurs terres pour de nombreuses personnes, on constate la montée en Europe des idées d’extrême-droite, la volonté de construire une Europe forteresse, sourde et aveugle à la misère que sa politique contribue à créer.
Le texte devra encore être examiné à l’Assemblée Nationale au mois de décembre, puis validé par le Conseil Constitutionnel dont on connaÎt la partialité. Le président du groupe les Républicains à l’Assemblée Nationale a déclaré vouloir durcir encore le texte. Gérald Darmanin pourrait jouer sur tous les tableaux en accordant à la droite les pires concessions pour faire voter l’article 3 sur les métiers en tension.
Qu’est-ce qu’on attend pour dégager ce gouvernement ?