Nous n’avons plus le choix
La canicule s’abat sur le monde, provoquant dans son sillage sécheresse, incendies et inondations. Ce que nous vivons actuellement n’est pas un banal épisode estival qui mérite tout juste quelques minutes de reportage dans le journal de treize heures entre la préparation de la rentrée et autres marronniers journalistiques. C’est un aperçu de notre avenir, un cauchemar infernal rendant petit à petit la planète impropre à la vie.
Pour contenir le dérèglement climatique et ce qu’il engendre (extinction de masse, limites de la planète atteintes, guerres de l’eau, famines et autres réjouissances), nous devons réduire l’extraction et la consommation d’énergies fossiles, l’élevage et la déforestation. Pour cela, il est indispensable de réduire les vols d’avions, les trajets en voiture, de consommer moins de viande et d’une façon générale d’introduire plus de sobriété dans tous les secteurs.
Pour atteindre ces objectifs, il est indispensable, collectivement, de changer nos modes de vie et de production. Nous n’avons plus le choix. Mais cela ne peut se faire sans le concours de l’Etat, des collectivités locales et des entreprises qui, pour l’heure, imposent un logiciel écocide. La survie des espèces va dépendre de notre capacité à nous mobiliser collectivement pour sortir de ce logiciel. Nous savons que les écogestes individuels quotidiens sont nécessaires mais ne peuvent suffire dans une économie globalisée où la course aux profits conduit à des aberrations écologiques, puisque les entreprises veulent produire là où le travail coûte le moins cher, acquérir les matières premières aux prix les plus bas possibles et les vendre là où elles se font une plus grosse marge. De même, le développement d’une agriculture mondialisée d’exportation hyperspécialisée favorise la concentration des terres aux mains des firmes agricoles et la spéculation des traders sur les produits agricoles, au détriment de l’autonomie alimentaire des populations qui sont les premières à souffrir de chaque crise du capitalisme. Cette agriculture orientée vers le profit est extrêmement polluante et participe elle-même à l’avènement de nouvelles crises qui provoqueront sécheresse et famines.
Nous lançons cette bouteille à la mer car nous partageons tous·tes la même planète. Nous ne pouvons pas nous permettre de rester aveugles et sourd·es comme les pouvoirs publics à la catastrophe qui vient, qui est déjà là. Il n’y aura de salut collectif que si nous prenons conscience qu’il faut agir, à notre échelle individuelle qui est limitée pour toutes celles et tous ceux qui ne sont pas de gros pollueurs, mais surtout en exerçant notre responsabilité politique. Nous devons imposer un profond changement de société aux Etats et aux entreprises. Nous estimons que nous renvoyer à notre responsabilité individuelle alors que nos choix sont forcément limités par la réalité matérielle de nos conditions de vie et par l’offre disponible, est une impasse. Nous pouvons vivre autrement collectivement, mais nous devons être accompagné·es pour reconsidérer nos pratiques et trouver des alternatives moins polluantes. Les individus ne peuvent porter à bout de bras ces changements. C’est comme rendre un individu responsable de se protéger du covid avec des outils imparfaits dans un environnement où il y est sans cesse exposé.
Nous comprenons le sentiment de révolte de celles et ceux à qui on demande la sobriété énergétique alors que la précarité impose à 8 millions de personnes de ne pas se chauffer l’hiver, que près de 5 millions de logements sont des passoires thermiques faute d’investissement de l’Etat, tandis qu’en un seul week-end l’avion du groupe de Martin Bouygues a cramé 70 tonnes de CO2 (source), hypothéquant la durée de vie sur notre planète commune. Nous rappelons à Bernard et à ses amis que la planète Terre n’est pas leur terrain de jeux privatif. Les premiers à subir les effets du dérèglement climatique sont les plus pauvres, alors que ce sont ceux qui polluent le moins.
La justice climatique et la justice sociale sont forcément intriquées. Eradiquer l’extrême pauvreté à l’échelle de la planète n’élèverait ainsi les émissions globales que de 1 % (étude 1). Il nous paraît plus pertinent de s’attaquer à l’extrême richesse, sans toutefois négliger d’essayer de réduire dans la mesure de nos possibilités notre propre empreinte carbone.
Les possibilités de réduire les trajets et la consommation d’énergie passent par une collectivisation facilitée qui ne repose pas sur des efforts individuels trop coûteux et passe forcément par une relocalisation.
Le développement et l’accessibilité de transports communs publics est un enjeu primordial. Malheureusement le gouvernement français va à contre-courant de ces propositions puisqu’il encourage la suppression des petites lignes « non-rentables » en nous renvoyant à une possibilité plus ou moins réaliste de nous organiser pour faire du co-voiturage, par exemple ! Les parkings, excusez-nous les « aires de covoiturage », mais quelle innovation symbolique du manque d’ambition des dirigeants ! Réclamons plutôt la prise en charge financière collective des transports en commun comme mesure de justice sociale et comme mesure de justice climatique, l’investissement dans des transports collectifs de proximité, rapides et efficaces,
une renationalisation de la SNCF ! Mais surtout essayons collectivement de limiter les besoins de déplacement en développant l’accès à des logements de qualité à proximité de son travail. Nous avons pu constater que le fait de rendre plus rapides certains trajets vers des lieux d’attractivité, que ce soit par le train, le métro ou l’autoroute, avait pour effet pervers d’augmenter le prix de l’immobilier dans les zones desservies, repoussant encore plus loin les personnes aux moyens financiers limités. Il faut donc s’attaquer à la spéculation immobilière. Sérieusement, pour qui est-ce un vrai choix de se taper deux heures de voiture par jour ? Saviez-vous qu’environ la moitié du parc locatif en France appartient seulement à 3,5 % des ménages ? L’investissement dans des logements abordables proches des lieux de travail a été délaissé par les pouvoirs publics et les entreprises, qui viennent d’ailleurs d’être délestées à hauteur de 8 milliards d’euros de leur participation à l’entretien des routes et transports locaux par la suppression de la CVAE, un impôt de production qui n’était pas délocalisable puisque lié à l’implantation d’une entreprise sur le territoire où elle produit et non à la localisation de son siège social. On voit donc que le souci de limiter les trajets passe par la création de nouveaux droits : droit de se déplacer par des moyens collectifs, et surtout droit de se loger à proximité.
Le développement local de cantines collectives ouvertes à toustes et gratuites permettrait également de mutualiser le travail pour préparer les repas ainsi que l’énergie pour les produire et certainement d’avoir une alimentation plus diversifiée et moins carnée. Ce qui se cuisine coûte en général moins cher que ce qui est vendu préparé mais encore faut-il avoir la disponibilité et l’énergie après une journée de travail de se mettre aux fourneaux tous les soirs, en proposant une cuisine bio, de saison et équilibrée, alors qu’on a parfois juste envie de faire une bonne plâtrée de pâtes pour expédier le repas. Les produits que nous consommons, plus ou moins transformés par l’industrie, sont aussi le reflet de la disponibilité que nous laisse le temps consacré au travail et au transport.
La prise en compte de l’impact des décisions locales, nationales et mondiales sur la préservation d’un milieu propre à la vie humaine devrait être un critère évident de gouvernance. Malheureusement on constate que la défense court-termiste des intérêts privés passe avant tout.
Ce déni de la nécessité d’analyser toute décision politique par le prisme de son impact sur la possibilité de maintenir la vie sur notre planète est rendu possible parce qu’un certain nombre d’entre nous refusent d’entendre les scientifiques et croient les dirigeants qui opposent fin du mois et fin du monde, alors que des études pointent le rôle du néolibéralisme comme facteur d’aggravation du dérèglement climatique (étude 2). N’oublions pas que les riches, qui profitent du système actuel qui, répétons-le n’est pas viable, ont tout intérêt à dépeindre les mesures nécessaires comme punitives, menant à une vie fade et contrainte, et surtout à nous renvoyer à une écologie bourgeoise qui repose uniquement sur les écogestes des citoyen.nes sans rien changer aux modes de production orientés vers la maximisation des profits. Si on revient sur l’épisode tout récent des feux de forêt en Gironde, on s’aperçoit que la facilité avec laquelle l’incendie s’est propagé est bien entendu une conséquence directe de la sécheresse et de la chaleur, mais aussi du milieu. Le type de culture mis en place par les propriétaires pour sa rentabilité, tient plus du champ d’arbres que de la forêt, alors que le milieu naturel marécageux a été asséché au cours des siècles précédents. Des avantages fiscaux ont été accordés aux propriétaires qui adoptent « un plan de gestion durable », à traduire par une monoculture intensive de résineux, dont la croissance est plus rapide que celle des feuillus. Ajoutons à tout ça le désinvestissement des collectivités des équipes de pompiers et de l’entretien du matériel pour lutter contre les incendies et vous obtenez l’immense brasier qui a fait tant de dommages. De manière plus globale,
la déforestation, pratiquée dans de nombreux pays du monde afin de fournir de l’huile de palme ou de soja à des fins alimentaires ou pour les biocarburants, modifie le climat, déséquilibre la biodiversité animale et végétale et le cadre de vie des populations autochtones. Ces dégradations des écosystèmes et de la biodiversité favorisent également le développement de maladies infectieuses d’origine animale (zoonoses).
La liste des initiatives à encourager est bien sûr loin d’être exhaustive. Collectiviser, interdire les pratiques d’Amazon dont le modèle n’est pas viable écologiquement, développer l’usage des objets de seconde main, arrêter l’obsolescence programmée, réparer, fabriquer des objets moins polluants, toutes ces pistes ont en commun de renoncer non pas à une vie suffisamment confortable mais aux logiques de rentabilité. C’est la puissance de porter collectivement cette sortie indispensable vers une autre manière de vivre qui la rendra non seulement possible mais aussi désirable. On essaie de nous vendre l’idée que l’écologie imposerait à chacun.e de mener une vie d’Amish tandis que Bernard Arnaud continue à sillonner le ciel avec son jet et que la loi sur le pouvoir d’achat, en réponse à la guerre en Ukraine, prévoit d’augmenter notre consommation de gaz de schiste et de charbon. A nous d’opposer à cette idée de sacrifice solitaire l’espoir que la force collective permettra un changement radical qui sera l’occasion d’éprouver la puissance des liens humains.