On ne peut pas soigner des gens en se contentant de changer leurs boulons.
Dans une tribune (réservée aux abonnés), Pascale Molinier, professeure de psychologie sociale, explique les départs des professionnel·les de l’hôpital par leur souffrance éthique liée à ce que soigner veut dire lorsque les politiques imposent des logiques gestionnaires.
Extraits :
« Accueil, attention, anticipation des besoins (de se reposer, d’être rassuré…), ces dimensions essentielles du soin ne recouvrent pas celles de la médecine scientifique ou de ce qui s’évalue en termes d’actes quantifiés. Il s’agit de la part inestimable du soin, au sens où elle ne se mesure pas avec les outils de la gestion, mais demeure ce qui compte le plus dans le vécu de la maladie ou de l’hospitalisation. »
Il s’agit là du care, mot anglais qui désigne « les dimensions non curatives du soin et prend pour perspective la vulnérabilité et l’interdépendance de tout un chacun ».
Le care, c’est également « un domaine d’études qui ‘s’intéresse à celles qui s’occupent des autres, surmontant ainsi la dévalorisation sociale qui affecte des activités féminisées, de faible visibilité, en relation directe avec les tabous du corps et de la mort ; des activités dont beaucoup croient encore qu’elles ne demanderaient pas de compétences particulières et dépendraient avant tout d’un tempérament plus ou moins chaleureux. Or, tout au contraire, pour se déployer, ce travail, s’il est inestimable, nécessite des conditions matérielles qui peuvent être analysées.(…)
Le care associe un travail discret avec une éthique qui lui est consubstantielle. Faire une toilette, par exemple, est un acte non technique, pourtant éminemment difficile à bien réaliser, notamment en respectant la pudeur de la personne, en surmontant son propre dégoût ou son appréhension du contact avec le corps de l’autre. »
« Mais à quoi nous servent tous ces savoirs, s’il nous manque la volonté politique de faire appel à cette double expertise ? (…)
Pour changer de modèle, il importe collectivement de rompre avec le déni gestionnaire. Les personnels soignants quittent l’hôpital parce qu’ils ne veulent pas devenir des monstres sans affects, ou laisser leur peau au travail. (…)
Il est temps de remettre le soin au coeur de notre système de santé, en tirant la leçon de cette crise qui signe l’échec de plus de vingt ans de gestion hospitalière aveugle au travail et à ses contraintes, et sourde à celles et ceux qui en sont les rouages. »