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Services Hospitaliers Publics 2023 : « Plus de chef ! Toutes et tous chefs ! »

Photo : inscriptions au dos d'une blouse de soignant : "Infirmiers, aide-soignants, tous professionnels du soin, pas des chiens ! "
Dessin type panneau routier, interdictio, une femme tenant un fouet, met un coup de pied aux fesses à une soignante qui est à 4 pattes
"Assez ! Maltraitance organisationnelle, ne nous laissons plus faire."

Nous relayons la tribune de l’équipe de Neuro-Chirurgie de l’Hôpital de Besançon qui retrace l’historique des causes de la dégradation des conditions et organisations du travail à l’hôpital et lance un appel à nous organiser, à dans les Services de soin, puis dans la société :

Services Hospitaliers Publics 2023 : 
« Plus de chef ! Toutes et tous chefs !!! » 

Les politiques menées en France depuis plus de 25 ans n’ont eu de cesse de résumer la Santé à un bilan purement comptable (rentabilité à tous les étages), de réduire les solidarités interprofessionnelles (diviser pour mieux régner) et de restreindre le pouvoir décisionnel des soignants au sein de l’hôpital (management autoritaire).

Les choses ont commencé à tourner à l’aigre en 1995 avec l’élection de J Chirac (Gouvernement Juppé – Ministre de la Santé H Gaymard) par la création de la « Contribution au Remboursement de la Dette Sociale » (CRDS), la création des « Agences Régionales de l’Hospitalisation » (ARH), précurseurs du mille-feuille administratif des ARS (Agences Régionales de Santé), et de l’Agence Nationale d’Accréditation et d’Évaluation en Santé (ANAES), organe de contrôle de « l’efficience » du système de soin. C’est surtout à cette époque qu’a été inscrit dans la Loi l’Objectif National des Dépenses de l’Assurance Maladie (le fameux ONDAM), voté par le Parlement, qui fixe le taux maximum de dépassement annuel autorisé pour les dépenses de Santé. Avec les prêts toxiques, les crises financières, l’inflation, celui-ci deviendra vite un garrot terrible au cou des hôpitaux publics car toujours inférieur à l’augmentation spontanée des coûts du marché. On voit aussi se mettre en place les Groupements de Coopération Sanitaire (futurs Groupement Hospitaliers de Territoire actuels) visant à la mise en commun des moyens au niveau régional. L’objectif clairement avoué par les pouvoirs publics de l’époque, n’est en rien différent de celui du Gouvernement actuel, celui de réduire le parc hospitalier français de… 100 000 lits, soit près du tiers de sa capacité. De fait, entre 1993 et 2018, ce sont 103.000 lits qui seront fermés (bien entendu avec la suppression des personnels afférents). De nombreux établissements publics et privés de petite dimension vont ainsi être fermés et regroupés. Cette diminution considérable des moyens d’hospitalisation s’accompagnera d’une concentration des équipements hospitaliers dans les grosses institutions au détriment de l’accès aux soins de proximité dont nous connaissons les grandes difficultés aujourd’hui.

Le deuxième mandat de J Chirac (Gouvernement Raffarin – Ministre de la Santé P Douste-Blazy), fort d’une majorité très à droite, accélère les réformes de l’hôpital à coups d’ordonnances. C’est en 2005, qu’on impose le saucissonnage de l’hôpital en pôles médicaux et médico-techniques, plus faciles « à gérer » pour l’administration car individualisés, mis en concurrence et divisés. Les services et les soignants de terrain vont se retrouver dans des structures administratives autogérées, mais à budget de plus en plus contraint, et déconnectées des décisions prises en Directoire par des chefs de pôles parfois complaisants car souvent nommés par la Direction elle-même (à moins que ce ne soit l’inverse). En échange de cette nouvelle organisation, les orientations seront prises à parité entre les administratifs et les médecins de la Commission Médicale d’Établissement (CME), qui croient voir là leur pouvoir décisionnel enfin renforcé. C’est aussi à cette période qu’a lieu le 1er grand virage de l’hôpital entreprise avec l’instauration de la T2A (Tarification à l’activité) qui privilégie les recettes sur les dépenses et les résultats sur les moyens, au lieu de prévoir une enveloppe budgétaire adaptée aux besoins réels de la population du territoire. On créée alors, comme dans les usines de voitures, des tarifs formatés pour chaque soin comme on calculerait le coût de fabrication et le prix de vente d’un véhicule : groupe homogène de séjours (GHS) correspondant (ou non) au tarif d’un groupe homogène de malades (GHM). Les hôpitaux sont mis en concurrence entre eux par ce nouveau logiciel et ceux dont la balance budgétaire deviendra « déficitaire » pourront alors être montrés du doigt et mis sous tutelle. On transformera le droit à la Santé de la population en offre de soin devant être toujours plus rentable. Le plan Hôpital 2012 associant « modernisation et efficience », justifie une sélection rigoureuse des projets retenus. La mesure de l’efficience par des outils du type « calcul du retour sur investissement » complétée par une appréciation plus qualitative du service rendu, notamment médical, sera intégrée dans la méthodologie de sélection. On accompagne la reconversion des sites chirurgicaux « en sous-activité́ » et on poursuit les regroupements et les restructurations des plateaux techniques des secteurs médico-chirurgico-obstétricaux et des établissements dans le secteur des Soins de Suite Réadaptation.

Enfin, c’est sous le mandat de N Sarkozy (Gouvernement Fillon – Ministre de la Santé R Bachelot) que sera promulguée la Loi Hôpital Patients Santé Territoire (HPST) qui amènera la création des ARS qui deviendront rapidement une courroie de distribution efficace et directe des directives et contraintes budgétaires ministérielles à l’échelon régional. Au niveau local, le texte renforcera de façon drastique le pouvoir décisionnel des Directeurs d’établissement (nommés par décret pour les CHU et CHR) vis-à-vis de la communauté médicale à qui il ne reste quasiment plus qu’un rôle consultatif aussi bien au niveau de la CME qu’à celui du Directoire. Les anciens chefs de service, appelés à présent « Responsables de structure interne » (RSI), et encore plus les autres personnels médicaux ou paramédicaux sont relégués en bout de chaîne alimentaire et n’ont que peu de pouvoir décisionnel ou organisationnel sur leur service et aucun sur les projets d’établissement, les plans de financement ou de recrutement. Depuis le 1er mandat d’E Macron, 2ème grand virage de l’hôpital entreprise, la fermeture des lits s’est à nouveau accélérée, en partie du fait du « virage ambulatoire » et en partie du fait des contraintes budgétaires imposées par l’application de la formule de « l’argent-magique » : fermeture de lits = suppression de personnel = allègement de la masse salariale = économies. Ce sont maintenant environ 21.000 lits qui ont été supprimés depuis 2017, lits qui nous font particulièrement défaut en période épidémique de Covid ou d’épidémies saisonnières (grippe, bronchiolite…). Et il faudrait tout le déni d’un Président pour se demander au tournant de la nouvelle année: « Qui aurait pu prédire en 2022 la crise du système de Santé en France ? »

C’est dans ce contexte, que les conditions de salaire et de travail des soignants hospitaliers n’ont cessé de se détériorer : gel du point d’indice, non-paiement des heures sup, non respect des plannings, contractualisation à outrance, suppression de postes, augmentation de la charge de travail, manque de moyens, dégradation de l’humanité des soins, harcèlement managérial, non reconnaissance institutionnelle, suppression progressive du statut de fonctionnaire etc… Et si la dégradation de la sûreté et de la qualité des soins suit exactement la même tendance, la responsabilité morale et médico-légale des dysfonctionnements pour les usagers incombe toujours aux soignants eux-mêmes, et à leurs chefs de service en particulier. En 2023, nous pourrions commencer à changer la donne en montrant l’exemple à notre échelle, celle du service, de la possibilité d’une réorganisation collective de l’hôpital public en visant à terme la réorganisation de notre société.

Pour lutter de façon solidaire contre une institution qui broie les individus.

Pour ne plus accepter d’être les fusibles confortables d’un système qui tourne fou.

Pour réintroduire une vraie démocratie participative horizontale dans les équipes de soin.

Pour reconquérir le pouvoir décisionnel du terrain et proposer un autre avenir à l’hôpital.

Pour maintenir la qualité et l’humanité des soins pour toutes et tous sur l’ensemble du territoire.

Ainsi, fin décembre 2022, nous avons adressé collectivement cette lettre à notre Direction et à nos collègues chefs de service pour leur annoncer le changement de paradigme. «  Plus de chef ! Toutes et tous chefs !!! » 

Une aventure à suivre …

Tribune parue dans le blog de Laurent Thinès sur Médiapart.