🏥 Pourquoi je quitte l’hĂ´pital
Les politiques d’austĂ©ritĂ© budgĂ©taires imposĂ©es Ă l’hĂ´pital public depuis des annĂ©es conduisent Ă fermer des lits, Ă rĂ©duire les effectifs, Ă limiter les prises en charge et Ă mettre les patient·es en danger.Â
En psychiatrie, la nouvelle doctrine de réhabilitation et de neuropsychiatrie, présentée comme miraculeuse, s’impose, interdit la diversité des pratiques et vient nier les compétences acquises par les soignant·es dans la relation thérapeutique.
Une fois le diagnostic posé, le traitement (dont la « rehab ») mis en œuvre, c’est la fin de la prise en charge : les patient·es sont orienté·es vers les médecins généralistes (qui peuvent se sentir en difficulté et sont déjà surchargés). « On n’a plus les moyens de suivre tout le monde », tel est le nouvel adage.
Pour masquer le manque de lits, on n’hospitalise plus, parce que ce serait « paternaliste » et si le patient ne souhaite pas ou plus de prise en charge alors on doit arrĂŞter lĂ , au nom de sa libertĂ©, sans tenir compte qu’il est difficile d’accepter sa pathologie, de se rendre compte de ses troubles, et tant pis pour les ruptures de soin. Le respect du temps psychique du patient a disparu.
Lorsque les soignant·es viennent pointer les problèmes, s’opposent Ă cette destruction du service public hospitalier et de la relation soignante, la hiĂ©rachie, servile, devient menaçante, sanctionne, impose d’obĂ©ir.
Pour toutes ces raisons le travail soignant perd son sens.
Alors les soignant·es tentent de lutter, mais face Ă toutes ces violences systĂ©miques ils et elles sont de plus en plus nombreux·ses Ă quitter l’institution hospitalière pour ne pas sombrer.
Nous relayons le tĂ©moignage d’une infirmière de psychiatrie qui a dĂ» se rĂ©soudre Ă partir :
« Bonjour à tous,
Comme vous le savez, mon départ du service est imminent.
Après bientôt treize années, c’est avec soulagement mais aussi un peu d’amertume que je quitte cette institution qui m’a apporté énormément (en termes de connaissances, compétences, formations, rencontres..), mais dont j’ai déploré, et notamment ces trois dernières années, une perte de sens de plus en plus inquiétante dans les choix institutionnels, avec des répercussions dommageables sur les pratiques soignantes.
Mon choix de travailler dans la fonction publique émanait de valeurs qui me sont chères et qui sont motrices dans la pratique de nos professions soignantes.
En effet, il s’agit en premier lieu du principe d’égalité de chaque individu face à l’accès aux soins, d’équité, du respect de chaque personne, de non-jugement, de bienveillance…
Aujourd’hui, le constat que je fais est que l’hôpital est devenu austère, se vidant de ses soignants, laissant sur le bord du chemin de plus en plus de patients qui ne « rentrent pas dans les critères » et qui ont pourtant besoin de soins. Sous prétexte d’organisations et d’idéologies que seraient censées révolutionner l’évolution des pathologies psychiatriques… pensée unique à laquelle il faudrait adhérer sans aucun esprit critique.
Il faut croire que l’hôpital reflète ce qui se passe actuellement dans notre société, avec ces réformes imposées au « 49.3 », et toujours plus de mensonges camouflés par l’image, le faux-semblant. On a vu apparaître à l’hôpital des « chargés de communication » alors que beaucoup de nos médecins seniors s’en vont les uns après les autres, remplacés bien souvent par des internes peu expérimentés.
Je crois malheureusement que le problème s’installe, il devient presque la norme actuelle. Je crois aussi qu’il est politique, sociétal et que c’est de notre responsabilité de refuser de participer à ce que l’on trouve inacceptable, notamment toujours plus d’individualisme, de clivage, de perversion. Mon départ (étant une action parmi tant d’autres possibles) va en ce sens. Il est symbolique, et c’est aussi important de le préciser. J’ai conscience que partir ne changera rien à la situation (je ne prétends bien évidemment par avoir ce pouvoir à moi seule, je ne suis « qu’une de plus » à franchir le pas). En revanche, pour moi ça change tout puisque je reste en accord avec moi-même.
Avant de me décider à partir, je suis restée près de trois ans (ce qui correspond à la restructuration) dans cette « fausse idée » (voire emprise institutionnelle) en me disant qu’il ne pouvait pas y avoir mieux ailleurs, ceci m’a beaucoup mise à mal, et selon moi m’a asservie à un système auquel je ne veux plus participer, à des valeurs qui ne sont plus les miennes.
Evidemment, on peut toujours se dire que c’est pire ailleurs, ou pareil, et rester à un endroit où on ne se sent plus en accord pour un tas de raisons qui appartiennent à chacun et qui sont respectables.
Mais personnellement, je choisis de regarder vers ce qui peut ĂŞtre mieux Ă mon sens ou du moins, plus respectueux des patients et de moi-mĂŞme.
Inévitablement je m’attends à ce que certains d’entre vous n’approuvent pas ce que je dis, le critiquent, ou alors s’en accommodent tant bien que mal.
Ce que je respecte car nous sommes tous différents et faisons tous comme nous pouvons.
C’est aussi ce qui fait la force d’une équipe lorsqu’elle dispose de temps et d’espaces nécessaires pour travailler ensemble, penser et élaborer.
Même si j’ai conscience que certains de mes propos peuvent déranger, il est important pour moi d’exprimer en personne les vraies causes de mon départ qui ne sont pas uniquement ni en premier lieu pour me rapprocher de mon domicile, mais la conséquence d’une perte quasi-totale de sens dans un fonctionnement hospitalier qui emmène encore un peu plus le système de santé à sa destruction.
Je suis restée une seule année dans ce service, je ne suis pas forcément à l’aise d’organiser un pot de départ dans ces conditions, néanmoins j’apporterai quand même quelques douceurs pour mon dernier jour.
Merci à ceux/celles qui m’ont accueillie avec tellement de gentillesse lors de mon arrivée il y a un an (c’est quelque chose qu’on n’oublie pas) et à ceux/celles qui m’ont permis de rester la personne que je suis et de continuer à croire en mes valeurs, à faire les bons choix.
Je souhaite à tous une bonne continuation, et qui sait, peut-être que nos chemins se recroiseront un de ces jours ici ou ailleurs ! »