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Psychiatrie en grève : « On ne peut pas regarder les choses s’effondrer »

Hier, les professionnel·les de la psychiatrie publique étaient en grève pour dénoncer une politique de précarisation continue qui conduit à un effondrement du système de santé. Iels demandaient un sursaut politique et un plan massif de revalorisation salariale et d’embauches afin de sauver la psychiatrie publique dont bénéficient en priorité les populations les plus défavorisées, les plus touchées par les difficultés d’accès aux soins. 

Article de Jennifer Simoes pour Rapports de force :

Crédit : Rapports de force. 
Photo d'un piquet de grève devant un hôpital. On voit un groupe d'hospitaliers, de dos, bras levé. 
Chacun·e décoré le dos de sa blouse blanche avec des messages appelant à soutenir l'hôpital public et la psychiatrie.
Crédit : Rapports de force

« Ce lundi 3 juillet, plusieurs syndicats de la psychiatrie appellent à une grève nationale afin de dénoncer une politique de précarisation continue qui conduit à un effondrement du système de santé. Ils appellent à un sursaut politique et demandent un plan massif de revalorisation salariale et d’embauches afin de sauver la psychiatrie publique dont bénéficient en priorité les populations les plus défavorisées, les plus touchées par les difficultés d’accès aux soins.

Il y a plus d’un an, en septembre 2021, Les Assises de la santé mentale et de la psychiatrie avaient accouché d’une trentaine de mesures censées pallier au sous-investissement chronique dont souffre la discipline. Malgré cette marque de prise en compte politique et la promesse de créer 800 postes dans les centres médico-psychologiques, les personnels du secteur estiment que le président de la République – qui avait clôturé ces assises – n’a pas répondu à leurs attentes. Ils dénoncent des annonces « marketing » loin de pouvoir résoudre la désertification à l’œuvre au sein de la profession. 

« 800 postes, c’est si peu au regard de la pénurie de personnel paramédical que nous connaissons, affirme Charles Olivier Pons, président de l’Union syndicale de la psychiatrie (USP). Dans le Jura, nous assistons à une véritable hémorragie : des collègues partent en Suisse ou dans des cliniques psychiatriques privées », dénonce ce pédopsychiatre exerçant en centre médico-psychologique. Pour Jean-Pierre Salvarelli, psychiatre à l’hôpital de Saint-Cyr au Mont d’Or et membre du SPH (syndicat des psychiatres des hôpitaux), l’attrait du privé s’exerce surtout sur les médecins, moins sur les infirmières et aides-soignantes qui quittent les services pour se réorienter : « L’État essaie de montrer qu’il fait des efforts, avec le Ségur puis les Assises de la santé mentale, mais ce ne sont que des rustines. On annonce des créations de postes, bien en dessous des besoins, alors que nous ne parvenons pas à recruter. C’est comme donner une aspirine à quelqu’un qui est en réanimation. On se demande si le projet est de sauver le service public ou de l’enterrer définitivement. »

Des services de psychiatrie contraints de fermer

Dans certains territoires, la fuite des paramédicaux et le manque de médecin est telle que des services entiers sont contraints de fermer, accentuant la difficulté croissante de l’accès aux soins pour tous. L’apparition de « zones blanches », encore appelées « déserts médicaux », n’épargne pas la psychiatrie, notamment la pédopsychiatrie – particulièrement touchée. Ainsi, à Tourcoing, le service psychiatrique des 16-25 ans a dû fermer ses portes en mai dernier faute de soignants. La direction de l’Établissement psychiatrique de santé mentale de Lille-Métropole a tenu à préciser que cette fermeture était temporaire, le temps de reconstituer une équipe. Et qu’une réouverture était prévue pour la rentrée, mais les personnels sont plus pessimistes. « On a trop de mal à recruter, se désole David Meesman, infirmier en psychiatrie et délégué CGT EPSM Lille-Métropole. La direction a donc décidé de diminuer le cadre de fonctionnement, mais en retour les personnels dans les unités sont de moins en moins nombreux, donc plus en difficulté encore. Imaginez quand les jeunes arrivent dans les services et qu’ils nous voient courir dans tous les sens ou qu’ils assistent à des scènes violentes ! Comment voulez-vous qu’ils restent ? »

Dans le Jura comme à Lille, Lyon, ou Nantes, on s’alarme d’une montée de la violence dans les services du fait d’effectifs réduits. « On frôle le drame humain chaque jour », alerte Elise Le Bail, infirmière de psychiatrie à l’hôpital Saint-Jacques, à Nantes et syndiquée à la CGT. La professionnelle refuse pour autant de stigmatiser les patients, victimes des dysfonctionnements institutionnels et des politiques de rationalisation économique pratiquées ces quinze dernières années. « Sans être nostalgique d’un temps qui n’a pas existé, on a quand même fermé des dizaines de milliers de lits en psychiatrie entre 1999 et aujourd’hui », critique Jean Pierre Salvarelli. 

« Quand on voit le gouvernement s’émouvoir du drame à Reims, où une infirmière est décédée des suites d’une attaque au couteau, je trouve cela insupportable alors qu’on sait qu’ils ne mettent pas les moyens suffisants dans les services ! », s’indigne Élise Le Bail. À l’appel de la CGT, FO et Sud-Solidaires du CHU de Nantes, les professionnels de la psychiatrie ont manifesté en mai dernier pour dénoncer leurs conditions de travail et demander des effectifs. « Nous n’avons plus assez de places ou de lits pour accueillir correctement nos patients ! Nous allons devoir les faire sortir plus tôt, sans qu’ils soient suffisamment stabilisés, pour en accueillir d’autres. C’est dramatique », se désole Béatrice Peron-Soubra, infirmière à l’hôpital Saint-Jacques de Nantes également et syndiquée CGT.  Elle sait déjà que certains patients ne seront pas pris en charge à l’avenir et vont se retrouver, en errance à la rue. « Certains de nos patients soignés en hôpital de jour nécessitent un hébergement médico-social sauf que là aussi, il manque des places », ajoute Béatrice Peron-Soubra. De son côté, l’union syndicale de la psychiatrie relate une augmentation du nombre de patients en attente aux urgences des hôpitaux ; certains restant sur des brancards pendant des heures, voire des jours. Or, cette attente majore les troubles ayant conduit les patients à l’hôpital : un facteur de stress supplémentaires à la fois pour les équipes des urgences, déjà en souffrance, mais aussi pour les équipes des services d’admission de psychiatrie qui ont plus de difficulté à nouer une relation thérapeutique.

Quand les politiques néolibérale détruisent le service public de santé

« Nous assistons à une politique néolibérale qui détruit peu à peu le service public de santé, à tous les bouts de la chaîne, témoigne Charles Olivier Pons. Le médico-social est en très grande souffrance, notamment lorsqu’il s’adresse à des enfants et des adolescents qui ont besoin de suivi et de placement. Il n’y a plus de familles d’accueil, on peine à trouver des lieux d’hébergement et on peine à trouver le personnel pour y travailler. » Dans ces conditions, le renforcement des maisons des adolescents annoncé lors des assises, ainsi que le remboursement de 8 consultations en psychologie sur prescription médicale apparaissent bien anecdotiques. « Ce dispositif est un échec, très peu de psychologues y participent [environ 2 000 sur les 80 000 psychologues que compte le pays] », rappelle Jean Pierre Salvarelli. Quant aux maisons des adolescents, pensées pour prendre en charge des publics plus précaires, elles se développent grâce au soutien des différentes agences régionales de santé, mais se heurtent parfois au manque de financements pérennes. « On se sent très impuissants par moment, mais on ne peut pas regarder les choses s’effondrer », lance Charles Olivier Pons. 

L’union syndicale de la psychiatrie demande des annonces fortes, en commençant par un grand plan de revalorisation immédiate de la permanence des soins, gardes et astreintes incluses, seul préalable à des embauches en nombre suffisant. Les Assises de la santé mentale s’étaient notamment conclues sur une promesse de travaux concernant la rémunération dans le secteur de la psychiatrie, et notamment d’un potentiel changement de paradigme afin de passer d’une rémunération à la mission plutôt qu’à l’acte. « Ce qui nous importe c’est de pouvoir être en nombre suffisant pour proposer du soin de qualité », déclare le président de l’USP en expliquant combien la fonte des effectifs paramédicaux a modifié les conditions d’exercice de la psychiatrie. « Quand vous avez 3 infirmières pour 26 patients, c’est très compliqué de répondre à toutes les demandes en permanence donc cela peut conduire à une augmentation des procédures de contention et d’isolement. »

« La situation dans laquelle nous nous trouvons est en train d’atteindre nos valeurs professionnelles, dénonce Béatrice Peron-Soubra. Quand on vient travailler en psychiatrie c’est pour entendre, être disponible et à l’écoute de patients en souffrance, mais nous n’avons parfois plus d’espace de réflexion pour ça ! » L’infirmière critique les mesures sécuritaires envisagées pour compenser les manques d’effectifs : « Nous n’avons pas besoin de caméras, mais de personnel formé. »

L’USP exige également des mesures garantissant l’accès, la proximité et l’égalité de la prise en soins pour la population de tout le territoire et pour ce faire, appelle à l’abolition de la loi HPST afin de se défaire du fonctionnement entrepreneurial de l’hôpital, à changer le mode de gouvernance issu de cette même loi, qui place l’administration au-dessus des projets médico-sociaux. « Nous voyons arriver de plus en plus de financements par appels à projets. Or cela épuise d’autant plus les équipes à qui on demande de monter des projets qui ne sont parfois pas retenus ou alors retenus pour un an uniquement. Et après que se passe-t-il ? Il faut reclasser les gens, les renvoyer dans d’autres services… On ne peut pas fonctionner comme cela », s’inquiète Charles Olivier Pons. »

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