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Qu’est-ce qu’on fait là déjà ?

Photo prise à Sainte-Soline le 25 mars 2023. Crédit inconnu. De nombreux quais de police dans un champ, le passager arrière étant armé et chargé de lancer les projectiles sur les manifestants.
Crédit inconnu

« 26 mars, retour du Poitou

Mais merde, qu’est-ce qu’on foutait là déjà ? Ah oui, on se bat pour la flotte, on se bat contre la privatisation du vivant, on se bat contre l’état qui défend les intérêts de quelques uns plutôt que de garantir la vie de tou·tes.

Medic, medic ! Là là ! Et pendant qu’on crie et qu’on indique les blessé·es, il faut continuer de garder un œil sur ce qui tombe du ciel. Regarder les autres mains qui pointent un projectile qui arrive au-dessus de nos têtes. Identifier la nature (lacrymo, désencerclement ?), évaluer la distance, le risque, courir un peu, sentir les tympans qui craquent sous le bruit de l’explosion. Acouphènes éphémères. 
On repart.

Mais merde qu’est-ce qu’on fait là déjà ? Ah oui, franchir la barrière bleue pour arriver à la bassine. Ah non en fait pas une barrière bleue, mais plutôt deux, avec du vert kaki dedans aussi, et des grillages, et des barbelés, et un talus à escalader. Et derrière quoi ? Un lac, de la flotte qui appartient à tou·tes pompée pour quelques-uns. 
Medic medic ! Mais merde où sont les medics là faut faire vite. Ça tombe à gauche, à droite, devant. Eh camarade tu veux du serum ? Oh t’as vu que t’as la tête en sang ? 
Attention grenade !! Se replier, un peu, garder son calme, repartir. 
Remonter des cailloux pour la première ligne qui en manque, monter à distance de jet de pierre, lancer. Sentir la main de son binôme sur l’épaule, un·e qui scrute le ciel, l’autre qui avance ou recule.

Mais merde, qu’est-ce qu’on fait là déjà ? Ah oui, on fait le nombre, la masse. C’est tout ce qu’on a face aux armes de guerre qui nous tombent sur la tête, qui fauchent les jambes, arrachent les membres. 
Medic medic ! Depuis combien de temps on est là ? 20 minutes peut-être. Quelques medics se regroupent au-dessus d’un corps. L’une est déjà à court de matos. Les autres ne sont pas loin non plus. Comme iels vont faire ? Et moi, si je m’effondre ?

Attention là ! Regarder la grenade tomber à quelques mètres, ne pas avoir le réflexe de s’écarter, l’explosion, le crâne qui tambourine. Merde j’suis cramé·e j’ai même plus le réflexe de courir pour m’éloigner. J’ai rien, faut ravancer. Voir son binôme, un mot pour savoir si ça va aussi. Ça tient. On ravance.

Ça brûle devant, fumée noire des véhicules en feu, fumée blanchâtre des lacrymos, l’éclair d’une flamme, étincelles d’une lacrymo qui se disperse, on voit plus rien.

Combien de temps ça a duré ? 2, 3 heures ? Moins d’une heure en fait. Une éternité ou pas assez ? Qu’est-ce qui a fait que tout d’un coup on s’est replié·es ? Un type entre la vie et la mort devant, une colonne de quads qui a tenté de nous encercler, la prise de conscience qu’on avait aucune chance, l’épuisement de la première ligne ?

Mais merde, qu’est ce qu’on foutait là déjà ? 
C’est fini. 

Évacuer les blessé·es, retrouver son équipe. Deviner dans les yeux le niveau de choc, évaluer les blessures, tenter quelques mots. Un·e camarade craque, on se serre. Trop absurde, trop inégal, trop dangereux.

Qu’est-ce qui se passe après ça ? Y en a qui doivent savoir. 
On rentre, infini cortège noir de dépit et de colère, une armée malgré elle, épuisée. On est vivant·es, on a de la chance. »

Via Numéro Zéro

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