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Rattrapage de psycho pour les néolibéraux dont le système broie nos enfants

Crédit : Gerald Scarfe – The Wall

Nous lisons un nième article qui déplore le retard scolaire des enfants dû au Covid (“21 semaines qui auraient été perdues depuis mars 2020“…) et qui appelle aux « cours de rattrapage » pour sauver l’économie. Nous tentons ici de ramener les esprits à la réalité.

Commençons par nous souvenir de ce que nous avons tou-te-s traversé. Après un déni généralisé entre fin 2019 et mi-mars 2020, l’annonce de Macron d’un confinement total alors que deux jours avant il nous incitait à sortir et nous amuser, nous a pétrifié-e-s. Nous adultes, nous avons tout de même a minima compris, chacun-e à sa façon, que la fiction ou les mises en garde prenaient tout à coup pied dans la réalité. Pouvons-nous quelques instants nous remettre au contact de nos angoisses d’enfant et imaginer que celles-ci soient un jour devenues réalité ? Pouvons-nous quelques instants nous remettre au contact de notre difficile travail d’enfant d’interprétation du monde qui nous entourait, peu aidé-es par les discours adultes, tantôt mensongers pour nous épargner, tantôt rassurants sans toutefois nous duper complètement, tantôt révélateurs bruts d’une réalité bien trop difficile, sans parler des absences de réponses ?

C’est ce à quoi nos enfants ont eu à faire face. Tout à coup, les mots « guerre », « virus », « hôpital », « mort » ont envahi l’espace social ; des images toutes plus terribles les unes que les autres les ont projeté-e-s dans leurs pires cauchemars ; on leur a même dit que les relations sociales étaient devenues dangereuses (« distanciation sociale »). A la maison, il a fallu rester enfermé-e-s parfois à plusieurs dans une même pièce, solliciter les adultes, elleux-mêmes sidéré-e-s et subissant la cruauté capitaliste de la continuité économique « en même temps » que la continuité pédagogique, pour l’école à la maison. Il n’y a pas que les premie-re-s de corvée qui ont été héroïques et dont le courage pour faire face à cette situation dramatique est aujourd’hui balayé d’un revers de poigne néocapitaliste ; nos enfants ont fourni des efforts inimaginables même pour celles et ceux de nous qui sont les plus à l’écoute. Ils ont subi tout cela dans le silence. Les adolescent-e-s se sont pli-é-es sans rébellion à un âge où celle-ci est nécessaire. Longtemps après la fin du premier confinement, on a pu voir que les enfants, petits et grands étaient même parfois bien plus respectueux des autres, bien plus soucieux de protéger les aîné-e-s que beaucoup d’adultes. C’est une inversion générationnelle anormale qui n’est pas sans créer des dégâts sur le long terme et ils le payent aujourd’hui très fort. Deux ans après, ceci est manifeste et très bien documenté, encore faut-il s’intéresser à leur état psychique. 

Au lieu de cela, un article belge récent qui ne fait que reprendre d’autres propos déjà lus ailleurs dans la presse française annonce une « baisse du niveau scolaire équivalente à environ une demi-année, soit 21 semaines de cours qui auraient été perdues depuis mars 2020 ». Oui, ces semaines ont été perdues mais la perte est bien au-delà de six mois d’apprentissages après tout pas si grave si on accepte de considérer tout cela à l’échelle d’une vie humaine. Ce que tous ces néolibéraux voient comme problème c’est un « risque d’être moins diplômés » et ils professent macabrement en cascade « une baisse des revenus individuels », « le niveau de vie va baisser, la consommation également. Au niveau du travail, des entreprises et de l’économie, les personnes seront aussi moins productives ». Nous y voilà ! Cette analyse à vomir d’un système qui, en vérité, réduit l’école à une machine à produire de la main d’œuvre et ne voit dans ce « retard scolaire » qu’un problème pour sa précieuse productivité, nous apparaît également comme un grave aveu d’échec. La temporalité capitaliste ne peut pas accepter qu’un enfant puisse avoir besoin d’un peu plus de temps et que si on le lui donne, il pourra sans problème continuer à se développer. Pire, démunis parce que le temps ne s’achète pas, ni les apprentissages des enfants, ces oiseaux de mauvais augure « espèrent » « un rattrapage » pour éviter les coûts financiers. Pour répondre aux vœux des fossoyeurs, des coachs-vautours promettant monts et merveilles au pays de la destruction massive, proposent des stages avec des slogans nauséabonds comme « aider mon enfant à rattraper son retard scolaire » (vous remarquerez que c’est le retard scolaire de l’enfant pas de l’Education Nationale dont le ministre en janvier 2022 avait le temps de partir en vacances à Ibiza). 

La perte de six mois, qu’il ne faut pas chercher à effacer ou à récupérer est au contraire à prendre en charge collectivement. Nous devons d’abord nous soucier des soins nécessaires pour que ce traumatisme laisse le moins de traces possibles. Proposer des dispositifs qui permettent aux enfants et adolescent-e-s de parler, de leur point de vue, de ce qu’ils ont traversé, qui leur ouvrent des perspectives positives, notamment en leur faisant découvrir la force du collectif, la nécessité de prendre soins les un-e-s des autres. Leur dire, non pas qu’il va falloir bosser dur pendant les vacances pour ingurgiter des savoirs nécessaires à l’obtention d’un diplôme, mais que nous sommes à leurs côtés et leur faisons confiance pour tranquillement absorber ce grand choc. Nous devons ensuite soutenir les professionnel-le-s qui sont engagé-e-s auprès de nos enfants et sont si malmené-e-s : les enseignant-e-s qui tout en obéissant aux ordres insensés n’ont jamais cessé de dialoguer avec leurs élèves, d’apaiser leurs angoisses, de soutenir leur désir d’apprendre; les éducateurs et éducatrices dont le travail depuis deux ans a aidé des jeunes à ne pas sombrer, les assistant-e-s d’éducation, précaires et payé-e-s une misère, non formé-es, les psychologues qui ont notamment écouté les étudiant-e-s en détresse quand le gouvernement les avait laissé-e-s affamé-e-s sur les trottoirs et  toute-s les autres professionnel-le-s du travail social, médico-social, psycho-pédagogique, de la santé, etc..

Si double peine il doit y avoir, endossez-la, vous qui vous souciez avant tout de sauver votre système pourri. C’est vous qui êtes en échec. Vous rendez-vous compte que vous en êtes à faire des job-datings (parodie des speed-datings, les annonces dans le Bon coin n’ayant pas grand succès) pour embaucher en CDD des profs que vous envoyez en classe sans formation et que vous payez une misère ? Foutez la paix aux enfants dont vous détruisez déjà le monde.  Arrêtez de vouloir leur voler ce temps précieux dont vous avez pu bénéficier, le plus souvent dans des draps de soie.