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McKinsey, fournisseur officieux de fables ?

Nous avions déjà dénoncé le recours de Macron au cabinet de conseil McKinsey dans une précédente publication, après les errances de la stratégie de la campagne de vaccination. Le Sénat vient de révéler au grand public la place croissante et tentaculaire de ces consultants dans la gouvernance de l’Etat, par des contrats juteux et quasi-systématiques, en doublon avec les hauts fonctionnaires. Le cabinet Véran ayant passé 47 contrats avec 8 cabinets de conseil pour un montant de 25 millions d’euros (oui vous avez bien lu), il nous apparaît bienvenu de nous interroger sur le rôle joué par McKinsey dans la stratégie de l’Etat au cours de la crise sanitaire, ou plutôt sur la feuille de route pour rendre socialement acceptable l’abandon de toutes les mesures de protection. 

Les derniers rapports de McKinsey (ici et ) jouent une partition familière puisqu’on y retrouve les éléments de langage distillés par la communication du gouvernement, reprise par différents médias : on y trouve en particulier l’idée fallacieuse que le virus évolue vers une endémicité, qui n’est pas comme le prétend la com de McKinsey une atténuation du virus, et un plaidoyer pour mettre fin aux « restrictions », jugées trop coûteuses pour la société pour le bénéfice apporté. D’après le cabinet, de plus en plus de personnes auraient conclu que les risques pour leur santé ne sont pas suffisamment importants pour qu’elles modifient leur comportement, parce que vaccinées et/ou jeunes et en bonne santé. Aux gouvernements de suivre en abandonnant les mesures et en revenant à une normalité dans laquelle la vie économique n‘est pas entravée (stade ultime de l’endémicité selon McKinsey, qui invente donc de nouveaux stades dans le concept scientifique d’endémicité, schéma à l’appui). Charge aux personnes vulnérables de se protéger.  Attraper le Covid se résume donc pour eux à mourir ou pas, et à une question de risque individuel.  

Bien que nous ne puissions bien sûr pas prétendre vérifier que Macron ait suivi les conseils de McKinsey, on se dit quand même que leurs mensonges ressemblent furieusement à la communication pré-électorale déployée par le gouvernement à coups d’Omicron bénin et de fatigue pandémique.
Malheureusement les (vraies) études scientifiques ne disent pas la même chose. La stratégie consistant à se fier uniquement aux vaccins pour arriver à un niveau de décès acceptable et d’hospitalisations absorbables par les systèmes de santé (car il s’agit de cela) montre ses limites. On sait désormais que l’immunité vaccinale et naturelle diminue avec le temps, bien qu’elle reste une protection essentielle. Omicron frappe durement les populations dont la couverture vaccinale n’est pas à jour ou insuffisante, comme BA.2 à Hong-Kong, mais même une bonne couverture vaccinale ou une population fortement infectée précédemment ne permettent cependant pas de vivre avec le virus . En termes de sévérité, le nombre de décès de la vague Omicron arrive juste derrière la vague Delta. Cet article suggère que sans contrôle de la transmission un Covid endémique impliquerait des centaines de milliers de décès annuels aux Etats-Unis et que des augmentations même modestes du taux de mortalité par infection entraineraient une charge de mortalité insoutenable. Il reste donc primordial de diminuer le nombre d’infections. 

Mais c’est aussi ce qu’il n’y a pas dans ces rapports qui nous indigne. Les rapports de McKinsey invisibilisent les malades du Covid long, qui peut frapper tout le monde, jeunes et vieux. Ils passent également sous silence les risques de séquelles à long terme, dont nous ne connaissons pas la durée, même lors d’infections dites « bénignes » : des études montrent que le Covid-19 est systémique et peut donc infecter différents organes, dont le cerveau, le cœur et le système nerveux, favoriser d’autres morbidités comme le diabète (ici et ), les maladies cardio-vasculaires, les états dépressifs et dérégler le système immunitaire.
Voulons-nous vraiment être infecté.es plusieurs fois par an ?   

De plus, il nous paraît particulièrement insupportable que Macron et McKinsey effacent toute préoccupation de santé collective. N’oublions pas que les conseillers de McKinsey ne sont pas des scientifiques mais des communiquants et des vendeurs au service du président-banquier. Le produit à vendre, c’est la fin de la pandémie pour permettre un retour complet à la marche capitaliste du monde, quitte à laisser mourir ou en mauvaise santé une partie d’entre nous. Cependant nous ne sommes pas une somme d’individus mais une société. Briser les chaines de contamination n’est pas qu’une affaire de risque individuel mais une nécessité qui concerne tout le monde et chacun.e. Les mesures de santé publique caricaturées dans leurs rapports ne sont pas nécessairement restrictives et autoritaires. Elles peuvent être des gestes de protection mutuelle guidés par les connaissances scientifiques : communiquer clairement sur ce que peuvent et ne peuvent pas les vaccins, sur la nature aéroportée du virus. Installer des systèmes d’aération efficaces, revoir l’architecture de certains bâtiments, privilégier les événements en extérieur, porter des masques, tester, tracer, permettre de s’isoler quand c’est nécessaire, ou encore financer la recherche publique. 

Nous sommes toustes des personnes vulnérables, ou nous sommes leurs enfants, leurs sœurs et leurs frères, leurs parents et si nous ne le sommes pas aujourd’hui nous le serons demain.